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Condition Féminine

L’inceste

Pourtant, l’inceste ne figure pas comme tel dans la loi française après une brève apparition dans le code pénal en raison d’une définition trop large. Depuis, les associations militent justement pour corriger cette anomalie parce que le viol (art. 222-23 C. pén.) commis par « ascendant légitime » ou « par adulte ayant autorité » (art. 222-24 C. pén.) s’il constitue une circonstance aggravante, cette dernière n’a pas la portée symbolique qu’aurait le mot inceste.

Autre anomalie majeure, en partie due au manque de moyens d’une justice confrontée à un nombre de crimes sexuels qui dépasse largement ses capacités de gestion, 80 % environ des incestes et des viols sont jugés, non pas par les cours d’assises comme les crimes qu’ils sont, mais devant les tribunaux correctionnels comme de simples délits…

Le déni de l’inceste et des maltraitances à enfants

La reconnaissance de la fréquence de l’inceste mais aussi de ces conséquences sur le plan personnel et social est l’objet d’un puissant déni qui a de multiples raisons, parmi lesquelles citons :

– le Décalogue dont le 5° et premier Commandement qui régit les rapport entre les humains n’est pas « Tu ne tueras point » mais « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne », c’est à dire sous peine de mort… repris tel quel dans le code civil Article 371 du Code civil 1 : « L’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère. » : l’idéologie familialiste s’enracine dans les profondeurs de la civilisation judéo-chrétienne ;

– La psychanalyse a longtemps privilégié la théorie du fantasme, tournant le dos à la réalité traumatique. Le complexe d’Œdipe a parfois nui aux enfants victimes de l’inceste inversant les responsabilités. S’il serait normal qu’un jeune enfant éprouve des sentiments de tendresse non sexualisé pour un parent, que penser si on attribuait un viol à un fantasme oedipien ?… Cette interview de Françoise Dolto à la revue Choisir, bien que datée, en est une illustration :   – Revue Choisir – Mais enfin, il y a bien des cas de viol ?   – Dolto – Il n’y a pas de viol du tout. Elles sont consentantes.   – Revue Choisir – Quand une fille vient vous voir et qu’elle vous raconte que, dans son enfance, son père a coïté avec elle et qu’elle a ressenti cela comme un viol, que lui répondez-vous ?   – Dolto – Elle ne l’a pas ressenti comme un viol. Elle a simplement compris que son père l’aimait et qu’il se consolait avec elle, parce que sa femme ne voulait pas faire l’amour avec lui.   – […]   – Revue Choisir – D’après vous, il n’y a pas de père vicieux et pervers ?   – Dolto – Il suffit que la fille refuse de coucher avec lui, en disant que cela ne se fait pas, pour qu’il la laisse tranquille.   – Revue Choisir – Il peut insister ?   – Dolto – Pas du tout, parce qu’il sait que l’enfant sait que c’est défendu. Et puis le père incestueux a tout de même peur que sa fille en parle. En général la fille ne dit rien, enfin pas tout de suite.

Bien que dans de nombreux pays la théorie freudienne ne soit plus enseignée que dans les facultés de sciences humaines, elle reste très présente en France dans le champ de la psychologie, de la psychiatrie et une référence absolue pour le corps social, ce qui explique la pertinence de cette critique dans la perspective d’un travail sur le déni des violences sexuelles sur les enfants.

– Actuellement la controverse se poursuit au sein de l’Association américaine de psychiatrie qui débat sur le rôle des événements traumatiques, dont l’inceste est un des plus graves, dans l’étiologie de la personnalité limite et de la personnalité antisociale telles que les définit le DSM V (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, APA). Les spécialistes américains de cette question, regroupés dans la Task Force chargée de la rédaction du DSM, se trouvent confrontés à de sérieuses difficultés pour faire admettre un lien entre les traumatismes précoces et certains troubles graves de la personnalité qu’ils qualifient d’état de stress post-traumatique complexe 2, DESNOS ou trouble de développement traumatique 3.

– La résilience, mal comprise, alimente le déni en faisant croire à ceux qui ne l’auraient pas correctement comprise, qu’un malheur pourrait être merveilleux et que les petits canards battus pourraient devenir des cygnes majestueux plutôt que les canards boiteux que décrit la recherche scientifique. En revanche les facteurs de résilience permettent de mieux rebondir face l’adversité.

– L’aliénation parentale (SAP-AP) est une théorie « antivictimaire » qui n’est pas consensuelle et insuffisamment évaluée par la recherche scientifique. Elle repose sur la conviction de ceux qui la défendent avec un incontestable succès. Le SAP/AP est d’autant plus pernicieux qu’il est décrit comme une entité clinique qui prend le masque d’un trouble figurant dans les nomenclatures psychiatriques internationales où sont recensés les troubles validés par de nombreuses études empiriques. Il risque d’inhiber l’esprit critique de certains juges et experts, surtout lorsqu’il est question d’allégations de violences sexuelles. Paul Fink, ancien président de l’American Psychiatric Association et directeur du Leadership Council on Mental Health déclarait :
« Je suis très inquiet en ce qui concerne l’influence que Gardner (l’inventeur du SAP) et sa pseudoscience peuvent exercer sur les tribunaux… Une fois que le juge admet le SAP, il est facile de conclure que les allégations d’agressions sont mensongères et les tribunaux attribuent la garde des enfants à des agresseurs présumés ou avérés ; Gardner est en train de détruire l’idée que les plaintes pour agressions sexuelles sont graves 4. »
Pour l’heure, rangeons-nous aux recommandations des consensus français et aux conclusions de Janet et Johnston 5 sollicités par le comité chargé de la révision du DSM :   – il n’existe pas de consensus pour une définition unique de l’aliénation qui n’est en aucun cas un « syndrome » ;   – les preuves qui soutiennent l’existence de l’aliénation sont largement fondées sur des opinions cliniques et d’experts ;   – une plus ample recherche est nécessaire pour distinguer l’aliénation d’autres types de prises de distance entre parents et enfants.

Un système d’évaluation est nécessaire pour évaluer les points forts et les limites de la recherche empirique actuelle sur l’aliénation.

– Le syndrome des faux souvenirs est souvent utilisé de façon irrationnelle en justice pour semer le doute ou discréditer la parole des victimes d’inceste.

– Le piège du soupçon de l’inceste est une théorie « antivictimaire » fondée sur la conviction de quelques auteurs qui alimentent les craintes de professionnels déjà très frileux en matière de signalement des violences sexuelles et autres maltraitances à l’encontre des enfants et des adolescents.

– La conviction largement répandue que les enfants d’Outreau ont menti, dessert les enfants. Saviez-vous que les douze enfants présents au procès en appel à Paris ont tous et sans exception été reconnus victime de viols et actes de proxénétisme et indemnisés à ce titre ? Pourquoi nous trompons-nous si lourdement ?

– Les professionnels de santé ne signalent que moins de 5 % des graves maltraitances, dont l’inceste. Ils n’y sont pas encouragés par la clause de conscience du Code de déontologie médical qui dispose que le médecin doit signaler un enfant en danger : « sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience ! » (art. 44 C. déont. méd.).

Pour une analyse plus complète des causes du déni de l’inceste : se référer au chapitre 3 du livre : « Enfants violés et violentés : le scandale ignoré 6 »

Pour des raisons techniques mais surtout idéologiques, il n’existe pas de mesures statistiques spécifiques de l’inceste en France. Il faut par conséquent se référer aux études provenant, pour la plupart, des pays anglo-saxons.

– La prévalence de l’agression sexuelle dans l’enfance dans la population générale est d’environ 18 à 22 % pour les femmes et de 8 à 10% pour les hommes (Tourigny 7, 2008 ; Pereda 8, 2009 ; Stoltenborgh 9, 2011)

– Elle se situe entre 10 et 48 % dans des échantillons cliniques (Higgins, 2001 10) ce qui, même si l’on ne considère que les chiffres les plus bas, conforte l’idée qu’il faudrait systématiquement rechercher des antécédents de violences subies dans l’enfance pour ne pas traiter des « symptômes écrans ».

– L’Office nationale de la délinquance et de la répression pénale (ONDPR) publie chaque année les statistiques des délits et des crimes sur un large échantillon de personnes âgées de 18 à 75 ans, représentatif de la population générale. L’ONDPR ne publie plus le nombre de mineurs de 15 ans décédés par homicide ni celui des mineurs victimes de violences sexuelles depuis 2007. L’ONDPR pourrait, à titre exceptionnel, poser la question de violences subies dans l’enfance à cet échantillon. Cela pourrait conforter le chiffre de 2 millions de victimes de l’inceste que l’on entend souvent citer dans les médias ; chiffre qui repose sur une extrapolation, tirée d’une étude enquête téléphonique IPSOS-Association Internationale des Victime de l’Inceste (AIVI), réalisée en 2009 auprès de 931 personnes âgées de 18 ans et plus. D’après cette enquête, 3 % des personnes interrogées déclarent avoir été victimes d’inceste et 26 % disent connaître au moins une personne victime d’inceste dans leur entourage. Les études rétrospectives sont à bon droit critiquées sur le plan méthodologique en raison d’un nombre considérable de biais de mémoire.

– Les études longitudinales, surtout lorsqu’elles s’appuient sur des cohortes d’enfants suivis pendant des années, sont évidemment préférables parce que peu contestables. Selon Anne Turzs 11 les principales cohortes ayant abordé le thème de la maltraitance sont britanniques, néo-zélandaises et scandinaves. Ces outils de recherche sont les seuls à pouvoir estimer la fréquence des conséquences à long terme de la maltraitance et surtout à pouvoir affirmer l’existence d’une transmission transgénérationnelle de la violence. Elfe, première étude longitudinale depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, lancée auprès de 500 familles pilotes en 2007, a été généralisée en France métropolitaine en avril 2011. Soutenue par les ministères en charge de la Recherche, de la Santé, et du Développement durable, ainsi que par un ensemble d’organismes de recherche et d’autres institutions, elle mobilise plus de 60 équipes de recherche, soit 400 chercheurs, avec plus de 90 sujets spécifiques… sans les maltraitances dont l’inceste ; un sujet concernant les accidents et les traumatismes est ainsi rédigé 12 : « Les accidents de la vie courante constituent la première cause de mortalité chez l’enfant. Ils sont fréquemment causés par l’utilisation d’un produit, une chute au domicile (dans un escalier ou une baignoire par exemple) et certains événements particuliers (déménagement, nouvelle naissance, conflit familial…). Les travaux sur ce thème permettent d’estimer l’incidence de tels traumatismes et d’analyser le devenir des jeunes qui en sont victimes. » Que signifie conflit familial ? Et pourquoi ce nouvel et inquiétant oubli des violences sexuelles et autres maltraitances ?

Malgré le déni dont l’inceste est l’objet, sa fréquence en fait un problème majeur de santé publique, ce d’autant que ses conséquences personnelles et sociales sont particulièrement délétères.

Conséquences psychologiques possibles de l’inceste

Il serait faux de penser que l’Etat de stress post traumatique (ESPT) est la complication psychologique typique de l’inceste.

Selon Ackermann 13, le diagnostic d’ESPT n’arrive qu’en quatrième position chez les enfants ayant subi (un ou) des événements traumatiques, après l’anxiété de séparation, le trouble oppositionnel et autres « troubles phobiques ».

Certes, les victimes d’inceste présentent le plus souvent des intrusions d’images, de pensées, font des cauchemars lors desquels elles revivent les viols ou les humiliations subis. Certes, elles peuvent éviter toutes les situations leur rappelant ou symbolisant les événements traumatiques subis et voir leur sexualité affectée par ce qu’elles ont vécu, à l’adolescence ou à l’âge adulte, sous la forme d’un évitement ou au contraire de comportements à risque sexuels.

Se reporter au chapitre « Etat de stress post traumatique » sur le site.

En fait, l’inceste comme toutes les maltraitances est une clinique de l’emprise psychologique dont les traumatismes psychologiques répétés compromettent gravement la structuration narcissique et identitaire de la personnalité des enfants et des adolescents qui les subissent.

L’inceste génère des troubles de la personnalité plus qu’un état de stress post traumatique tel que défini dans les nomenclatures psychiatriques.

Compte tenu de la portée symbolique de l’interdit de l’inceste qui structure la société dans ses fondements même, l’inceste, plus encore que tout autre crime, transforme la victime en une sorte de « SDF symbolique » sans aucun repère identitaire. On conçoit que seule la loi peut, en partie, restaurer ce qui a été détruit et permettre à la victime de se réinscrire dans le système de valeurs dont l’inceste l’a exclue.

La structuration narcissique de la personnalité dépend en grande partie de la qualité des liens d’attachement qui lient l’enfant aux personnes chargées de le protéger et de lui donner les conditions nécessaires à son développement. On conçoit qu’une relation d’emprise ou que des violences psychologiques ou sexuelles avec « un ascendant légitime » minent la confiance en soi mais aussi en toutes formes d’aide possible.

Les victimes d’inceste présente un « Trouble de développement traumatique » qui, à terme, sans prise en charge adaptée, pourrait devenir un « état de stress post traumatique complexe » ou un « Disorder of Extrem Stress Not Otherwise Spécified » (DESNOS), c’est à dire un trouble de stress extrême non répertorié dans les nomenclatures psychiatriques. Ces graves troubles de la personnalité ressemblent à s’y méprendre au trouble de personnalité limite ou borderline à ceci près qu’ils font le lien avec des événements traumatiques répétés, dont l’inceste constitue la forme la plus sévère.

Le trouble de développement traumatique est décrit dans le tableau suivant :

A. Exposition : 1. Maltraitances diverses : abandon, trahison, agressions physiques, agressions sexuelles, menaces à l’intégrité corporelle, pratiques coercitives, violence psychologique, être témoin de violence ou de mort.

2. Expériences subjectives négatives : rage, trahison, peur, démission, défaite, honte.

B. Dysrégulation des réponses aux signaux traumatiques (durables, répétées, non modifiées par la conscience) : – Tr émotionnels – Tr somatiques – Tr du comportement (p. ex., répétition, automutilation) – Tr cognitifs (attente d’une répétition des événements traumatiques, confusion, dissociation). – Tr relationnels (violence, opposition, méfiance, hyperconformisme).

– Honte, culpabilité.

C. Attentes et croyances erronées : – manque de confiance en soi – méfiance envers les éducateurs – méfiance envers les autres – manque de confiance envers les organismes sociaux – manque de confiance dans la justice

– attente d’autres événements traumatiques.

D. Perturbations : – scolaires – familiales – relationnelles – judiciaires

– professionnelles

Ces sujets hyperémotifs, prétendument alexithymiques, se dissocient lorsqu’ils sont confrontés à des situations rappelant ou symbolisant le ou les événements traumatiques subis sous l’effet de l’hyperactivation des amygdales cérébrales. Cette hyperstimulation entrainerait la sécrétion d’endorphines et de kétamine likes, antagonistes des récepteurs au N méthyl D aspartate qui, par hyperstimulation, déconnecteraient le système limbique du cortex cingulaire l’empêchant de contextualiser l’événement, renforçant l’inscription des mémoires traumatiques et produisant des lésions neurotoxiques cérébrales.

Les clichés de scanner fonctionnel suivants comparent les réactions émotionnelles d’un sujet sans passé traumatique et celle d’une « personnalité traumatique complexe » confrontée à un événement stressant (un film d’horreur par exemple). Ils objectivent la déconnection entre le système limbique et le cortex.

Certaines conduites paradoxales socialement ou judiciairement stigmatisantes (automutilations, conduites à risque, conduites hétéro agressives, consommation de produits psychotoxiques, conduites sexuelles déviantes, etc.) leur permettent de se mettre dans un état dissociatif d’anesthésie émotionnelle qui les soulage, comme ces adolescents qui s’automutilent par exemple, ce qui aggrave leur faible estime de soi. Ces troubles de dysrégulation de la gestion des émotions sont également probablement responsables du phénomène de répétition littérale que de nombreux praticiens ont repéré dans leur mode de fonctionnement, lequel se déploie dans de nombreux domaines qui permettent de remettre en scène les scenarii traumatiques : – le terrain prostitutionnel permet de rejouer, littéralement, l’emprise familiale et l’inceste et de répondre ainsi à la malédiction perverse : la femme prostituée devient la chose des clients qui l’achètent comme le faisait le père, tandis que le proxénétisme est un rapport de domination rappelant la dynamique familiale d’emprise totalitaire ; – les sujets éternellement agressés dans leurs relations de couple et dans leurs contacts avec les professionnels et les institutions rejouent souvent littéralement leur enfance maltraitante ; – les femmes violées dans leur enfance ont fréquemment des relations sexuelles avec leurs thérapeutes ;

– etc.

Vignette clinique Jocelyne, femme très soumise, consulte un psy parce qu’elle s’estime perverse. Son mari, pour tenter de mobiliser son désir sexuel lui a montré un film X à la suite duquel elle a pu avoir un rapport sexuel sans difficulté. Depuis, elle ne peut plus avoir un rapport sans regarder un film pornographique, ce qui amuse ses amies et même sa gynécologue, mais plus du tout son mari. La vision du film l’a plongée dans un état d’indifférence évoquant une anesthésie dissociative. Le psy, en établissant sa biographie, apprend qu’elle a été victime d’inceste de la part de son grand-père de 13 à 16 ans, ce qui, entre autre, a perturbé sa sexualité, complétement désinvestie avant qu’elle ait trouvé une stratégie qui la lui rende supportable.

Après avoir porté plainte, elle parviendra peu à peu à investir positivement sa sexualité avec l’aide d’un mari attentif et patient, une chance, et des techniques de gestion des émotions.

La répétition littérale peut également s’exprimer dans le domaine de l’agression directe. On parle alors d’identification à l’agresseur, mécanisme psychologique initialement décrit par Ferenczi et qui explique la perpétuation des lignées d’agresseurs. C’est ainsi que l’on peut expliquer le parcours de certains sujets borderlines avec aménagement « psychopathique » qui règlent constamment leurs comptes avec leurs parents maltraitants par l’intermédiaire des autorités répressives, représentations symboliques, qui les « maltraitent » de plus en plus en prononçant des peines de prison de plus en plus prolongées, équivalents symboliques de situations « abandonniques ».

L’emprise psychologique

L’emprise constitue toujours un meurtre psychique… Parfois, il s’agit d’un crime parfait, difficile à prouver, rarement puni, ce qui peut expliquer les propos de Françoise Dolto ou de ceux qui ont parlé d’inceste heureux ( !), notamment lorsque la victime prend parti pour son agresseur… comme le fait la loi pénale pour qui un enfant pourrait accepter d’avoir des interaction sexuels avec un adulte si on admet que ces « interactions » ce sont produites dans violence, menace, contrainte ou surprise, ce contre quoi combattent avec raison nombre d’associations d’aide aux victimes.
L’emprise est une entreprise de brouillage qu’il faut parvenir à décoder.

Le brouillage ou la mise en place du scénario traumatique

L’adulte, tel un « vampire », utilise des stratégies destinées à embrouiller l’enfant qu’il va violer, toujours identiques à quelques nuances près :   – il est un habile manipulateur,   – il « embrouille » en maniant l’art du « double lien » face auquel il est impossible de se décider : « Tous les papas agissent ainsi, par amour, »,   – il impose le silence, organise son impunité : « Si tu en parles on ne te croira pas », « J’irai en prison et toi à la DDASS », etc.,   – il fait alterner des périodes d’accalmie et de violences psychologiques et sexuelles ;   – il ne donne jamais la moindre explication,   – il utilise l’isolement, stratégie idéale pour porter sans risque une attaque,   – il est expert pour monter les membres de la famille les uns contre les autres, attiser les antagonismes, colporter des rumeurs, divulguer des faux secrets, faire et défaire les alliances,   – il ne tient jamais compte des faits,   – il reporte systématiquement la responsabilité de ses actes sur sa victime : « C’est elle qui m’a séduit »,   – il la culpabilise subtilement,   – il se trouve toujours « d’excellentes justifications »,

– il passe le plus souvent pour la victime de sa victime unanimement considérée comme responsable de la situation qu’elle endure.

L’enfant se tait ou prend le parti de son agresseur, qu’il aime quoi qu’il en soit. D’autre part, les victimes de traumatismes répétés génèrent des sentiments de rejet de la part de tous leurs interlocuteurs : c’est précisément ce mécanisme d’inversion qui signe le processus pervers.

Ainsi faut-il décoder ses stratégies d’emprise pour aider la victime à retrouver son autonomie psychique.

Décodage ou comment briser l’emprise ? Les enfants victimes n’espèrent bientôt plus aucune aide extérieure. Ils apprennent à leur dépend que les adultes se taisent souvent, même lorsqu’ils se présentent couverts de blessures à l’école. Des milliers de témoignages d’adultes le confirment : le déni a la peau dure. Les agresseurs quand ils sont démasqués se reconnaissent, ils sont prompts à former des groupements d’intérêts, des associations de malfaiteurs. Experts en manipulation des personnes, des institutions et des médias, ils savent actionner les ressorts de l’indignation. Il est en général impossible de négocier avec eux : ils ne connaissant que les rapports de force dans lesquels ils excellent. Le recours à la loi est, en bonne théorie, la meilleure façon de rétablir la vérité. Mais l’expérience prouve qu’il est impossible de se défendre quand on est un enfant et que c’est difficile quand on est adulte parce que le droit lui-même n’est pas adapté pour protéger efficacement et que les professionnels ne sont pas toujours formés ou formater par les idéologies du déni que nous avons énumérées plus haut. Il faut cependant nécessairement choisir la voie de la solidarité et de la résistance qui est celle des associations spécialisées : associations, services d’aide aux victimes, associations de victimes. La victime d’inceste peut également demander une aide à un professionnel de santé ayant l’expérience de l’emprise et du psychotraumatisme.

Quand le groupe solidaire est parvenu à monter un dossier qui rassemble des témoignages et des certificats médicaux pour l’essentiel, il porte l’affaire en justice en sachant que la justice va réclamer des éléments objectifs parfois difficiles à rassembler dans un contexte actuellement peu favorables aux victimes.

Conséquences médicales possibles de l’inceste

Les conséquences sociales et personnelles des violences sexuelles subies dans l’enfance ont fait l’objet de multiples études rétrospectives.

Felliti 14 et ses collaborateurs ont étudié les relations entre l’exposition aux traumatismes infantiles (agressions sexuelles et maltraitance) et certains troubles sur un échantillon de 9508 répondants soit 70,5 % des 13 494 personnes ayant bénéficié d’un bilan médical récent qui ont accepté de répondre à une enquête concernant 68 questions recensant 7 catégories d’actes de maltraitance. Le risque de présenter des troubles ou des maladies sont significativement plus élevés chez les sujets qui ont subi au moins 4 actes de maltraitances. Les résultats sont résumés dans le tableau 3.

Conséquences de l’exposition à 4 événements de vie pendant l’enfance (n= 9508 sur 13 494)

Conséquences Facteur de risque
Tabagisme x 2
Dépression durant plus de 2 semaines x 4,6
Tentatives de suicide x 12,2
Alcoolisme x 7,4
Maladie sexuellement transmissible x 2,5
Cancer x 1,9
Broncho-pneumopathie chronique obstructive x 3,9
Hépatite x 2,5
Etat de santé précaire x 2,2
Obésité sévère x 1,6
Absence d’activités physiques de loisir x 1,3
Toxicomanie x 4,7
Toxicomanie parentérale x 10,3
Coronaropathie x 2,2
Agressions x 2,4
Diabète x 1,6
Fractures x 1,6
> 50 partenaires sexuels x 3,2

Source : Felliti, 1998

Beaucoup d’autres études déterminent que les antécédents de maltraitance infantile sont, à l’âge adulte, associés à :   – une mauvaise auto-évaluation de l’état de santé ;

– une augmentation de consultations médicales, d’incapacité fonctionnelle, de troubles sexuels et gynéco-obstétricaux, de problèmes de somatisation, des conduites à risques (téléphone portable au volant, abus d’alcool, tabagisme, refus de port de ceintures de sécurité, rapports sexuels non protégés, promiscuité sexuelles, surcharge pondérale), de symptômes médicaux variés.

Conséquences sociales possibles

Un grand nombre d’études confirme que les violences sexuelles ont de graves répercussions sociales. Citons en quelques-unes :   – Les violences sexuelles sont responsables de nombre d’échecs scolaires en raison de possibles troubles cognitifs. Les troubles du comportement rendent ces enfants indésirables en classe. L’échec scolaire peut être le prélude à de grandes difficultés d’intégration dans le monde du travail.

– Une étude greffée sur une cohorte de naissance 15 a par exemple démontré que la délinquance et la consommation de drogue et d’alcool sont corrélées aux maltraitances subies dans l’enfance.

– Les adolescents physiquement maltraités avant l’âge de 5 ans sont cinq fois plus à risque d’être arrêtés pour des délits violents et non-violents 16.
– Sansone a étudié la personnalité et les antécédents sexuels d’un échantillon de 76 femmes borderlines hospitalisées et a pu mettre en évidence qu’elles rapportaient significativement davantage de rapports sexuels précoces et de rendez-vous lors desquelles elles subissaient des viols alors qu’elles n’avaient pas plus de partenaires sexuels ou de maladies sexuellement transmissibles.

Les conséquences principales de l’inceste sont, dans le pire des cas :   – une difficulté à gérer les émotions (impulsivité, troubles dissociatifs, comportements auto agressifs, troubles caractériels, difficultés relationnelles) ;   – des troubles dépressifs et des comportements suicidaires ;   – des troubles de la santé somatiques variés dits symptômes «écrans » ;   – l’abus de toxiques ;   – des troubles de l’intégration sociale (instabilité, exclusion, difficultés scolaires, problèmes professionnels) ;

– des troubles du comportement (comportements agressifs ou violents, comportements sexuels à risque, prostitution, délinquance).

Notions de prise en charge

Le traitement d’une victime de violences sexuelles, dans une dimension habituellement intégrative, repose sur plusieurs principes : travailler en réseau, installer un climat de confiance, négocier le cadre thérapeutique, apprendre à gérer les émotions et les troubles dissociatifs, réécrire le scenario traumatique.

Le traitement des conséquences de l’inceste est compliqué par :   – une perte de confiance en soi et en toute aide extérieure (y compris thérapeutique),   – une difficulté à gérer les émotions (dissociation),   – la répétition littérale du scénario traumatique (notamment avec le thérapeute qui représente l’agresseur ou son complice),

– les risques de rejet que génèrent les victimes de traumatismes répétés (notamment de la part du thérapeute).

Travailler en réseau
La procédure judiciaire reste le meilleur moyen de réinscription symbolique des victimes comme sujet dans le groupe social, en particulier de celles qui n’ont jamais pu conquérir une place dans la famille, l’école, la société, etc. Mais une procédure judiciaire est toujours une rude épreuve où rien n’est gagné d’avance. Si le patient est désireux de se lancer dans cette périlleuse « aventure », il faudra lui offrir un accompagnement judiciaire performant, en règle assuré par un avocat et une association spécialisés avec qui le professionnel travaille en réseau.

Ce travail en réseau permet de protéger le cadre thérapeutique des multiples intrusions et maltraitances que peuvent infliger les proches, les autorités répressives, les professionnels de la santé, véritables événements traumatiques secondaires survictimants.

La thérapie relationnelle
Pour parvenir à gagner la confiance d’une victime d’inceste, il faut reconnaître sans réserve la gravité des faits en faisant référence à la loi. En contexte traumatique, la famille a tout fait pour ne rien voir ; elle a excusé, banalisé ou minimisé les violences subies. Le thérapeute se met au contraire résolument du côté de la victime et bannit la « neutralité bienveillante » au profit d’une attitude empathique bien dosée qui ne confine jamais à la sympathie. Il oriente le patient dans le réseau d’accompagnement social et judiciaire parce que le soutien social est le facteur de résilience le plus important chez l’enfant comme chez l’adulte. Cependant, ce n’est pas pour autant qu’il obtient facilement la confiance minée d’une victime psychotraumatisée, une tâche ardue, surtout chez les adolescents et les adultes qui s’ingénient inconsciemment dans le « contre transfert traumatique » à générer des contre-attitudes de rejet de la part de tous les intervenants en ratant les rendez-vous, en provoquant des ruptures, en testant les limites du cadre ou en tentant de le transgresser. C’est une façon de tester le thérapeute qui, s’il cédait aux provocations, rejouerait le scénario traumatique.

Le thérapeute négocie « démocratiquement » le cadre thérapeutique et ne l’impose jamais pour ne pas reproduire un des aspects du scénario traumatique qui est le domaine où règne la loi du plus fort. Il faut se mettre d’accord sur le rythme des séances, la durée, le prix et surtout proscrire tous types de passages à l’acte. A chaque tentative de transgression, le thérapeute recadre le patient en lui rappelant que le cadre a été librement accepté de part et d’autre. C’est ainsi que peu à peu, une victime parvient à accorder sa confiance à un thérapeute qui représente un père devenu progressivement bienveillant et respectueux ou une mère protectrice, de façon souvent caricaturale dans le type de transfert littéral qui caractérisent les personnalités traumatiques.

La victime de violences sexuelles doit apprendre à gérer ses émotions et les troubles dissociatifs qui ne permettent pas d’aborder les événements traumatiques qui ne font pas sens parce que les émotions déconnectent le cerveau limbique du cortex frontal. Aucune thérapie par la parole n’est efficiente avant que, par des techniques de relaxation, la victime puisse apprendre à contrôler ses émotions. Il faut apprendre aux enfants à identifier et clarifier leurs émotions avant de leur donner des outils pour les externaliser, en règle par une thérapie par le jeu chez l’enfant, par des techniques de relaxation chez les adolescents et l’adulte jeune.

La réécriture progressivement complète du scénario traumatique est le point ultime de la thérapie : elle permet à la victime de violences sexuelles, dans une dernière tentative de reproduction littérale du scénario traumatique spécifique, par une tentative d’interrelation sexuelle réelle ou symbolique, de se convaincre que la « malédiction » peut cesser. Nous le verrons en détail dans le traitement des adolescents et des jeunes adultes. La recherche de sens se travaille par la critique du « système agresseur » et non pas par des interprétations plus ou moins « culpabilisantes ».

Ces principes généraux de traitement définissent une thérapie relationnelle qui s’inscrit dans l’exact négatif du scénario traumatique que certaines thérapies classiques reproduisent peu ou prou comme le montre le tableau suivant.

SCENARIO TRAUMATIQUE THERAPIE CLASSIQUE THERAPIE RELATIONNELLE
Loi du silence Neutralité « bienveillante » Empathie active
Déni, minimisation Absence de recherche des ET Reconnaissance et incitation à porter plainte
Isolement Colloque singulier Travail en réseau
Défense de type dissociatif Exposition technique mal maitrisée (parole, TCC, EMDR) Techniques diverses de gestion des émotions
Loi du plus fort Cadre imposé Cadre démocratique négocié
Culpabilité Implication du sujet (culpabilisation) Critique du système agresseur
Emprise Thérapie rigide (coaching) Cadre souple avec recadrage
Abandons Rupture des soins Prévention des ruptures de soins
Répétition des violences Rejet par identification projective Contrôle des contre-attitudes
Violences sexuelles Répétition littérale Réécriture du scénario traumatique

Source : Lopez, 2013

Les groupes de paroles mettent en place un cadre similaire qui permet de réécrire le scénario traumatique.

Ces principes étant posés, ils s’appliquent de façon très différente selon l’âge du sujet. Chaque thérapeute les applique en utilisant les techniques qu’il pratique : relaxation, thérapie cognitivo-comportementale, EMDR, hypnose, chimiothérapie, pour peu que ces méthodes soient consensuelles ou mieux validées par la recherche scientifique, comme le propose Marylène Cloitre 17 dont le livre vient d’être traduit chez Dunod.

Les viols par inceste entrainent des troubles de la régulation des affects, mais aussi des effractions narcissiques et des troubles identitaires. La prise en charge ne peut se concevoir qu’en réseau avec des juristes (avocats) et des associations spécialisées. Ce nécessaire accompagnement protège le cadre thérapeutique des incessantes difficultés que les victimes d’inceste risquent de rencontrer dans le parcours de réparation globale. Les principes thérapeutiques, plus ou moins consensuellement admis, consistent à contrôler les phénomènes dissociatifs récurrents par des techniques de relaxation qui permettront dans un second temps de réécrire le scénario traumatique dont la résolution, favorisée par une possible et parfois difficile reconnaissance judiciaire, signe le succès du traitement. Le sens à donner au traumatisme est, dans la majorité des cas, la critique des processus de domination : le sexisme dans le cas des viols et agressions sexuelles.

  • 1 Créé par la loi n° 70-459 du 4 juin 1970, art. 1 JORF 5 juin 1970 en vigueur le 1er janvier 1971.
  • 2 Herman, J. (1992). Complex PTSD : a syndrome in survivors or prolonged and repeated trauma”, J Trauma Stress, 5. Van der Kolk B. A., Roth S., Pelcovitz D. (2005). Sunday S., Spinazzola J. (2005). Disorders of extreme stress: The empirical foundation of a complex adaptation to trauma. J Trauma Stress, 18(5)
  • 3 Van der Kolk B. A. (2005). Developmental Trauma Disorder: Toward a rational diagnosis for children with complex trauma histories. Psychiatric Annals, 5(5)
  • 4 Bruch, C. S. (2002). Parental Alienation Syndrome and Alienated Children getting it wrong in Child Custody cases. 14 Child and Family Law Quarterly 381 (traduction française par Palma H.).
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  • 6 Lopez G. (2013). Enfants violés et violentés : le scandale ignoré. Paris, Dunod
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  • 9 Stoltenborgh, M., Van Uzendoorn, M. H., Euser, E. M., Bakermans-Kranenburg, M. J. (2011). A global perspective on child abuse: Meta-analysis of prevalence around the world. Child Maltreatment, 26, 79-101
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  • 11 Tursz, A. (2010). Enfants maltraités en France et par la France. Paris, Seuil
  • 12 www.elfe-france.fr
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  • 14 Felliti ,V.J., Anda, R.F., Nordemberg, D., et al. (1998). Relashionship of childhood abuse and household dysfunction to many of leading causes of death in adults : the Adverse Childhood Experiences (ACE) Study. Am J Prevent Med, 14(4):245-58
  • 15 Fergusson, D.M., Lynskey, M.T. (1997). Physical punishment/maltreatment during childhood and adjustment in young adulthood. Child Abuse Negl, 21(7):617-30
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  • 17 Cloitre, M, Cohen L.R., Koenen K.C. (2013). Traiter les victimes de la maltraitance infantile. Paris, Dunod (traduction de G. Salfati)

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