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Condition Féminine

Féminisme et histoire de l’art

Le féminisme a-t-il apporté quelque chose à l’histoire de l’art ?

L’histoire de l’art féministe se contente-t-elle de découvrir des artistes femmes et de réévaluer leur contribution à l’art ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une véritable intervention féministe dans la discipline afin de révéler le sexisme de ce discours fondé sur l’ordre patriarcal de la différence sexuelle ? Griselda Pollock affirmait en 1991 au cours d’un colloque parisien qu’il y avait eu des femmes peintres, mais qu’on les avait oubliées ou bien que l’on avait considéré que leur art était marginal, mineur, car le regard imposé à toujours été celui des hommes. Ce n’est pas l’histoire mais bien l’idéologie qui est responsable de l’absence des femmes de l’histoire de l’art. L’histoire de l’art moderne et professionnelle a fait disparaître les femmes du discours dominant. Il ne s’agit ni d’un oubli, ni d’une négligence, mais bien d’un effacement systématique, politique, voulant affirmer la domination masculine dans le domaine de l’art et de la culture. On a créé ainsi une identité quasi absolue entre créativité, culture, beauté, vérité et masculinité.

Le rôle des historiennes d’art féministes est de montrer qu’on nous a imposé UNE façon de voir les choses au détriment de toute autre, ainsi que d’expliquer l’absence des femmes du champs de la création artistique.

Pourquoi il n’y a pas eu de grandes artistes femme ?

Pourquoi sommes-nous incapables de donner plus de quinze noms de femmes écrivains, plus de trois noms de femmes peintres et au moins un nom de femme compositrice ? Y a-t-il eu des artistes féminines ? Quel fut leur talent ? Quels types d’œuvres ont-elles produits ?

En 1971, l’historienne de l’art américaine Linda Nochlin écrivait son premier article «féministe» dont le titre annonçait une polémique nouvelle : «Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ?». Ses articles suivants, ainsi que ceux d’autres universitaires américaines fait le bilan des connaissances sur la peinture des femmes et ont ouvert un nouveau champ de recherche à l’histoire de l’art.

Y a-t-il un « génie féminin » ?

L’article de Linda Nochlin s’ouvrait sur la question suivante : pourquoi les femmes ont-elles si peu créer ? Le « génie féminin » existe-t-il ?

La question du « génie féminin » s’appuie sur l’idée suivante qui a longtemps justifié l’exclusion des femmes du domaine de l’art : les femmes auraient le pouvoir de mettre au monde des êtres ; les hommes seraient dotés du pouvoir de créer des œuvres d’art. Les femmes ne seraient donc pas douées pour la peinture, ce qui expliquerait que l’histoire en ait retenues si peu et qu’aucun génie n’est été révélé.

Derrière la question de l’artiste au féminin se dissimule le mythe du « Grand Artiste » : les grands artistes sont des « génies », indépendamment des nécessités matérielles et sociales. Cette idée est confirmée par les historiens d’art eux-mêmes et leur façon de faire de l’histoire de l’art. En effet, les chercheurs travaillent la plupart du temps à la production de monographies visant à diviniser les artistes étudiés (qui sont bien évidemment des génies méconnus) et ce quel que soit les informations qu’ils possèdent. Moins nous savons de choses sur le milieu et la vie de l’artiste, plus son talent paraît extraordinaire et miraculeux. Et c’est ce miracle qui est recherché, car on considère encore aujourd’hui que la création est un phénomène inexplicable. Dès lors, la conclusion s’impose d’elle-même : puisque les grands génies se font tous seuls, il n’y a pas de raison a priori pour que les femmes ne deviennent elles aussi des génies ; et puisque cela n’a jamais été le cas, il faut bien admettre que les femmes ne sont donc pas aptes au génie.

Pour répondre à la question du « sexe du génie », Linda Nochlin en pose une autre du même genre : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes aristocrates ? ». En effet, avant le XIXème siècle, il est assez difficile de trouver des artistes appartenant à une classe « supérieure » à la grande bourgeoisie (Cf. Degas, Toulouse-Lautrec, etc.). Se pourrait-il que le génie soit aussi étranger au tempérament aristocrate qu’à celui des femmes ? Ne convient-il pas plutôt de penser que les exigences et les attentes auxquelles devaient répondre les aristocrates de sexe masculin et les femmes rendaient tout simplement impensable que les aristocrates de sexes masculins et les femmes en général se consacrent professionnellement à la production artistique – autrement dit qu’il ne s’agit pas d’une question de génie ou de talent ? Mais sitôt qu’on abandonne ce monde d’irrationalité pour considérer d’un œil objectif les situations réelles des artistes, le problème prend une autre tournure : il faut alors se demander à quelles classes sociales, milieux, sous-groupes, les artistes appartenaient ; quelles étaient les conditions nécessaires à la création artistique pour chaque période historique, etc. Ainsi, si on part du principe raisonnable que ce n’est pas un manque de génie qui a empêché les femmes de créer, il faut étudier pourquoi les femmes ont abandonné aux hommes le champs de la création.

Les femmes peintres constituaient-elles un groupe social homogène ?

Peut-on discerner chez les femmes des qualités qui les particularisaient en tant que groupe ? Voici quelques uns des signes distinctifs qui furent communs aux artistes femmes :

Les peintres femmes étaient toutes à quelques rares exceptions près, filles ou femmes d’artistes, formées par leur père ou leur mari (qu’elles rencontraient dans l’atelier du père), ce qui leur rendaient plus facile l’accès à l’étude, au matériel et à l’atelier. Elles étaient souvent d’une précocité étonnante. Cela s’explique probablement du fait que seules les femmes qui manifestaient des dons vraiment exceptionnels étaient encouragées à le cultiver.

On leur a refusé jusqu’au XIXème siècle, l’accès à la formation nécessaire que recevaient les hommes pour devenir des artistes professionnels (formation où l’on apprenait l’histoire de l’art, les mathématiques, la perspective et l’anatomie). Comme elles ne pouvaient ni étudier le nu, ni assister aux cours des académies, elles devaient donc se limiter aux portraits et aux natures mortes pour lesquels elles pouvaient facilement disposer de modèles. Elles étaient donc dans l’incapacité de pratiquer la peinture d’histoire considérée pendant longtemps comme le genre noble. Et l’on sous-entendait donc que les genres secondaires étaient l’apanage des femmes, ce qui bien sûr était faux.

Il faut admettre qu’à de rares exceptions près (Berthe Morisot, Mary Cassatt, Judith Leyster), les femmes peintres furent rarement parmi les artistes les plus audacieux et les plus inventifs de leur temps car elles n’avaient pas la formation pour cela. Cela permet aussi de comprendre pourquoi la littérature offrait aux femmes l’opportunité de rivaliser avec les hommes sur des bases beaucoup plus égalitaires et de s’imposer en novatrices. Si la création artistique exigeait l’apprentissage de technique et de savoir-faire spécifiques, cette formation n’était d’aucune façon réclamée au poète ou au romancier.

Le plus souvent, le mariage sonnait la fin de la carrière de la femme (exemple : Louise Moillon, Judith Leyster ou encore Catharina Van Hemessen). Les deux n’étaient pas compatibles. Certaines choisissaient le célibat pour pouvoir assumer leur art. Pour une femme, décider de s’engager dans une carrière, et a fortiori dans une carrière artistique, a toujours requis une certaine dose de non-conformisme et de rébellion.

La vision des femmes dans la peinture des hommes

Le regard masculin a dominé depuis toujours. L’histoire de l’art féministe a entrepris de mettre en question cette vision dominatrice des hommes sur les femmes. En effet, les représentations artistiques des femmes servent à reproduire des principes tenus pour indiscutables par la société et par les artistes quant au rôle des femmes et à la supériorité du sexe masculin. Les relations de pouvoir dans la société sont représentées de manière à les faire passer pour un état naturel et éternel (immuable) des choses. L’analyse des images est intéressante, car la mise en œuvre de l’idéologie peut être très subtile dans certains cas.

Certains tableaux mettant en scène des femmes étaient parfois des modèles proposés aux femmes pour qu’elles s’y conformassent. Tel est le cas du Printemps de Botticelli, qui semble bien avoir été un tableau moral destiné à une jeune épouse. C’est également le cas des femmes romaines proposées en exemple de vertu modeste par David aux citoyennes révolutionnaires dans le Serment des Horaces. Dans ce tableau, David se pose donc en moralisateur et présente, afin de mieux servir son discours, la vision des femmes qu’avaient ses contemporains : c’est-à-dire des femmes faibles et écartées de l’action. Les hommes sont forts et déterminés, les femmes alanguies et passives. La force et la faiblesse sont perçues comme corollaires naturels de la différence des sexes.

La Mort de Sardanapale de Delacroix présente, de manière détournée, une vision similaire des femmes. Derrière l’histoire du roi assyrien Sardanapale qui, apprenant sa défaite imminente donne l’ordre de détruire toutes ses possessions, femmes comprises et de mettre le feu à son palais, se cache une opinion fort banale et partagée par les hommes de la classe de Delacroix qui s’estimaient « en droit » de désirer, de posséder, de contrôler les corps des femmes. Les mœurs des orientaux abondamment représentés dans les tableaux du XIXe siècle étaient un prétexte pour montrer des femmes nues ou des femmes traitées en esclaves, légitimé par le fait qu’il s’agissait d’une société différente de la nôtre. Le principe est le même pour les œuvres représentant des bordels et des femmes de « petite vertus » dans les tableaux de Manet, Degas ou encore Toulouse-Lautrec, où l’image de la femme objet est saisissante. Les bourgeois, sous prétexte de regarder de la peinture, se rinçaient l’œil abondamment.

La domination du sexe masculin sur le sexe féminin est représentée de manière éloquente dans les tableaux figurant les rapports entre l’artiste et son modèle : le corps nu de la femme est laissé à la libre disposition de l’artiste qui s’en sert comme d’un objet.

Mais si on considère que cette vision est une vision masculine, quelle est la vision féminine ? La peinture des femmes est-elle différente de celle des hommes ?

Y a-t-il un art « féminin » ?

Dans le passé, certain-es ont affirmé – et affirment sans doute encore aujourd’hui – être capable de repérer une œuvre produite par une femme en littérature, peinture, sculpture, etc. il y aurait donc un art féminin et un art masculin. Or, dans le domaine de la peinture, il n’y a pas d’« imagerie féminine » : aucune particularité stylistique n’est attachée à l’œuvre des femmes, pas plus la «délicatesse de la touche» que l’utilisation du «pastel» comme on l’a souvent dit à tort. La «féminité» ne possède pas a priori de qualités susceptibles de relier entre eux les styles des artistes femmes. Dans tous les cas, les artistes et écrivaines semblent plus proches des artistes et écrivains de leur temps et de leur sensibilité qu’elles ne le sont les unes des autres. Nous affirmons donc que la peinture des femmes n’est pas foncièrement différente de celle des hommes et que les facteurs historiques et le particularisme local jouent un plus grand rôle dans la détermination d’un style que ne le fait le sexe de l’artiste.

Mais il est vrai que l’expérience des femmes et leur position dans la société, y compris en tant qu’artistes, diffèrent de celles des hommes. La citation de Virginia Woolf tirée de l’Art du roman formule expressément cette idée : «Il est probable que dans la vie comme dans l’art les valeurs ne sont pas pour une femme ce qu’elles sont pour un homme. Quand une femme se met à écrire un roman, elle constate sans cesse qu’elle a envie de changer les valeurs établies – rendre sérieux ce qui semble insignifiant à un homme, rendre quelconque ce qui lui paraît important. Et naturellement, le critique l’en blâmera ; car le critique du sexe opposé sera sincèrement étonné, embarrassé devant cette tentative pour changer l’échelle courante des valeurs ; il verra là non simplement une vue différente, mais une vue faible ou banale ou sentimentale parce qu’elle diffère de la sienne.»

Ainsi, Virginia Woolf affirme-t-elle que l’art féminin exprime parfois la vision de personnes tenues à l’écart en particulier au XIXème siècle. L’art des impressionnistes ou des pré-impressionnistes illustrent en effet particulièrement bien la dichotomie entre les deux sexes. Les artistes hommes ont par exemple traité des sujets tels que les filles et les sorties mondaines dans des lieux qu’aucune bourgeoise ne pouvaient fréquenter. Les femmes peintres se sont donc réfugiées dans d’autres thèmes : celui de la maternité et de la vie domestique qu’elles connaissaient bien. D’ailleurs de nombreux chercheurs ont montré que ce que l’on critique ou déprécie sous la catégorie d’art féminin correspond purement et simplement à la définition des activités féminines. La vision des hommes est-elle donc fondamentalement différente de celles des femmes ? Est-ce vraiment un problème de sexe ou de culture ? Je serais tenté de répondre que la dichotomie entre les hommes et les femmes étaient beaucoup plus forte durant les siècles précédents puisque hommes et femmes ne vivaient pas dans les mêmes sphères privées ou publiques. Aujourd’hui, le problème se présente de manière différente.

Le sexe de l’auteur ne revient pas à expliquer une œuvre, en éliminant toute autre problématique. Virginia Woolf parlait simplement ici de l’appropriation de l’art par un seul sexe ainsi que de l’exclusion des femmes de toute possibilité de reconnaissance artistique qui sont l’effet d’une division systématique entre féminité et masculinité au cœur même de la société bourgeoise. La féminité est présentée comme liée à la nature même du corps de la femme. Nous voulons suggérer, au contraire, qu’elle est une nécessité idéologique servant à garantir la domination des hommes, dans la vie publique et les institutions politiques. Il faut obliger les hommes à dire leur masculinité là où ils la font passer pour de l’universalité et donner la parole aux femmes.

Mais attention : si on met en cause le regard mâle dominateur, la question se pose d’un regard autre, d’un regard féminin relatif. Et il n’y a pas de raison pour que la relativité de la position féminine n’apparût pas comme une relativité parmi d’autres. Si l’on considère la relativité du regard féminin, on ne pourra empêcher la relativité d’autres regards s’affirmant «différents» : les hommes noirs, les femmes indiennes, etc. Comment définir la valeur de ces points de vue différents ? Si chaque communauté de quelque nature que ce soit crée ses propres valeurs, ne risquons-nous pas de nous enfermer dans nos identités ?

En conclusion

Le débat qui a trait à nos différence de sexe est un débat essentiel. Mais la différence ne peut être acceptée telle quelle. Nous devrons peut-être insister sur notre identité à l’autre sexe là ou l’on nous considère différentes, et sur notre différence là où l’on nous considère identiques.

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