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Condition Féminine

La sexualité, théories psychanalytiques et revendications

Aperçu des principaux concepts psychanalytiques créés par Freud

Les théories de Freud sont capitales car elles sont à la base de la psychanalyse, thème qui va donner lieu à de grandes discussions de la part des féministes des années 70. Freud pose les bases de la psychanalyse moderne en découvrant trois principes :

  • – l’existence d’une vie mentale inconsciente,
  • – l’existence d’une sexualité infantile,
  • – l’importance de la vie sexuelle pour tout individu normal ou névrosé.

1. Les étapes du développement sexuel féminin

– Pour Freud, il n’existe pas de différence entre la vie psychique des petites filles et celle des petits garçons. Il considère l’enfant comme un « pervers polymorphe », ce qui signifie que l’enfant tire des différentes parties de son corps des satisfactions sexuelles. Les deux sexes éprouvent un attachement fort envers la mère dont ils sont complètement dépendants.

  • – Selon Freud, arrive un moment où la fille se rend compte de la différence des sexes : elle constate que le petit garçon possède un pénis alors qu’elle-même n’a « rien », ou plutôt qu’elle n’a qu’un clitoris. Elle commence donc à envier le petit garçon, mais elle pense simplement qu’elle est en retard dans son développement et que son clitoris va pousser, se transformer en pénis. Ainsi pour Freud les enfants ont une vision unisexe du monde : pour eux, la mère comme le père sont masculins.
  • – Finalement, (toujours selon Freud) la petite fille renonce à son clitoris, qui lui semble inférieur, et entre dans une période de latence sexuelle. Parallèlement, elle renonce à sa mère comme but sexuel, parce qu’elle lui semble inférieure en tant que femme, et qu’elle lui en veut de ne pas avoir su faire en sorte qu’elle soit un garçon. Elle voit qu’elle ne peut posséder sa mère ni physiquement, ni culturellement (on la contraint à l’hétérosexualité), et se met à désirer son père car elle veut s’approprier, par son intermédiaire, le pénis et la puissance culturelle et symbolique qu’il représente.
  • – Ce moment du développement, que Freud nomme complexe d’Oedipe, est crucial. S’il ne s’effectue pas bien, la femme peut développer plus tard des névroses. Ces névroses seront présentes surtout dans deux cas : cas où la petite fille se met à mépriser les femmes et la condition féminine, d’une part, cas où elle refuse de renoncer à son clitoris et va développer un complexe de virilité, d’autre part. Dans les deux cas, selon Freud, elle ne deviendra pas une « vraie femme ».
  • Qu’est-ce qu’une « vraie femme » pour Freud ? : une femme qui a réussi à déplacer sa sensibilité sexuelle du clitoris au vagin, et à renoncer à ses buts actifs au profit de buts passifs, ce qui équivaut à reconnaître la supériorité masculine. Trois éléments principaux forment la définition freudienne de la féminité : passivité, masochisme (car la femme doit tirer une satisfaction de sa “castration” d’une part, de son accouchement d’autre part), jalousie et vanité (car elle a envie du pénis et va transformer tout son corps en un substitut du pénis, en un objet de séduction). Donc pour Freud, les femmes lesbiennes mais aussi les femmes ambitieuses ont mal résolu leur complexe d’Oedipe.

En ce qui concerne les hommes, tout est beaucoup plus simple pour Freud, car ils n’ont pas à se détourner de leur premier objet d’amour (la mère). Mais il faut tout de même qu’ils renoncent à rivaliser avec le père, qu’ils reconnaissent leur infériorité momentanée, et prennent leurs distances vis-à-vis de la mère, sans quoi ils risquent de devenir homosexuels. Autres possibilités de « perversions » masculines : la pédophilie, le fétichisme. Mais pour Freud les névroses masculines sont plus rares ; ce sont les femmes qui ont un chemin plus difficile à faire pour atteindre la féminité. C’est pour cela que les psychanalystes considèrent l’hystérie comme une névrose féminine.

2. Remarques sur la misogynie de Freud

La plupart des féministes ont rejeté en bloc Freud, alors que ses théories sont complexes et en perpétuelle évolution jusqu’aux années 30. Beaucoup ont rejeté avec lui la psychanalyse dans son ensenble. Mais certaines, comme l’américaine Juliet Mitchell, ont voulu montrer qu’en fait Freud n’était ni essentialiste ni misogyne. Pour affirmer cela, Juliet Mitchell se base sur le fait que Freud accorde une grande importance à la notion de bisexualité psychique. En effet, Freud décrit ce que doit être le développement d’un individu pour qu’il ne devienne pas trop névrosé, mais il s’agit pour lui d’un développement idéal, qui a rarement lieu dans sa totalité. Il considère qu’il existe une « part féminine » chez l’homme et une « part masculine » chez la femme : en ce sens, il est vrai qu’on ne peut le définir véritablement comme un essentialiste, puisqu’il ne relie pas le sexe biologique au sexe psychique. Mais il associe toujours l’activité au masculin et la passivité au féminin : il associe certaines valeurs à un sexe.

Les théories de Freud sont intéressantes dans la mesure où elles peuvent servir à une analyse du patriarcat au niveau de l’individu, et en particulier du patriarcat de la société bourgeoise de Vienne au début du siècle. Mais même si Freud analyse plus qu’il ne juge, le but de sa psychanalyse est évidemment de perpétuer le patriarcat, puisqu’il essaie de guérir les femmes névrosées de façon à ce qu’elles trouvent satisfaisante la place qu’on leur assigne.

Le Mouvement de Libération des Moeurs

Une connaissance des bases freudiennes est importante car Freud et la psychanalyse ont été très discutés lors de mai 68 et dans certains mouvements féministes.

1. La sexualité idéale selon les féministes essentialistes

Le féminisme français des années 70 s’est divisé, en gros, entre féministes essentialistes et féministes radicales, c’est à dire entre les féministes qui revendiquent une spécificité féminine, une « féminitude », et les féministes qui disent que les inégalités sont culturelles. Ce qui partage également ces deux tendances, c’est l’importance accordée à la sexualité et à la psychanalyse. Les féministes égalitaires sont plus tournées vers l’analyse sociologique et historique du patriarcat, et associent la lutte des femmes à la lutte pour l’égalité en général.

Les féministes différentialistes (ou essentialistes) au contraire associent le patriarcat à une société masculine qui nierait l’identité et les valeurs féminines. Il s’agit pour elles de retrouver ces valeurs féminines cachées en chacune d’elles, refoulées dans leur inconscient, et la psychanalyse est seule capable de leur faire atteindre cet objectif. Tout ça ne se serait pas produit sans Lacan, psychanalyste de l’école freudienne, mais qui reprend les thèses de Freud dans un autre langage. Réputé pour être complètement incompréhensible, Lacan est un génie pour certains, un fumiste pour d’autres. Mais pour Freud la libido est masculine, alors que Lacan accorde une grande importance à la jouissance féminine. Son langage, ses théories sont reprises par le groupe « Psychanalyse et politique » du M.L.F. (différencialistes), dont la leader Antoinette Fouque s’est faite analyser par Lacan.

Ce que les féministes différentialistes cherchent, c’est retrouver la « singularité de l’inconscient féminin », de la jouissance féminine, et retranscrire cette féminité dans le langage. Pour elles bien sûr, le lieu de la jouissance féminine est, par essence, le vagin. Elles opposent l’orgasme, qui serait masculin, à la jouissance, qui serait féminine. Elles ont une attitude particulière vis-à-vis de l’homosexualité : d’un côté, elles cherchent à « retrouver » une sensualité spécifiquement féminine, des relations fortes entre femmes, mais de l’autre, elles refusent de considérer l’homosexualité comme un choix sexuel acceptable. Pour elles, être lesbienne peut être un moyen de se débarasser des critères masculins en matière de sexualité, mais doit être une période transitoire. Elles considèrent l’attitude des lesbiennes comme narcissique (car elles voudraient se retrouver elles-mêmes dans la partenaire), et comme régressive (car elles entretiendrait la nostalgie de l’amour pour la mère).

Elles ont une attitude encore plus curieuse vis-à-vis de l’avortement et de la contraception. Elles considèrent que les lois Neuwirth et Veil sont un progrès pour la condition des femmes, mais elles ne les considèrent pas comme la base d’une sexualité féminine libérée. Au contraire, accepter la contraception et l’avortement leur semble un moyen de faire le jeu des hommes, d’être pour eux des objets sexuels et de perturber le fonctionnement naturel du corps féminin. La maternité est pour elles la source essentielle du pouvoir féminin, mais en même temps elles reconnaissent qu’elles ne peuvent accepter une grossesse tous les ans. Ce « raisonnement » les conduit à une impasse : certains textes disent que l’idéal serait que l’organisme féminin soit capable d’effectuer une contraception naturelle, qu’un avortement spontané se produise lors de grossesses non désirées.

Ces féministes sont aussi proches des théories psychanalytiques de Luce Irigaray, qui prône dans son livre « Spéculum » la nécessité d’une introspection pour retrouver la féminité. Disciple de Lacan, elle va encore plus loin que lui en affirmant que la libido féminine est “plus forte” que la libido masculine. L’homme est handicapé car privé de matrice, et compense son infériorité par une activité culturelle et rationnelle. La femme au contraire est tournée vers l’irrationnel, la sensibilité, le fantasme. Par conséquent, Luce Irigaray considère la psychanalyse comme un moyen pour les femmes de se réapproprier un langage féminin. Mais elle se différencie des féministes de Psychanalyse et Politique dans la mesure où elle considère l’homosexualité comme nécessaire pour se libérer de la propriété masculine. Elle refuse la maternité en tant que soumission à la société masculine (ce qui est paradoxal, étant donnée l’importance qu’elle accorde à la matrice).

2. La sexualité : théorie et pratique selon les féministes égalitaristes et les mouvements homosexuels

Les féministes différencialistes font beaucoup de théories sur ce qu’est ou ce que doit être la jouissance féminine. Au contraire, les féministes égalitaristes et les militants homosexuels n’accordent par une place centrale à la nature de la jouissance, mais revendiquent plus concrètement le droit à des relations sexuelles libérées des tabous. Cependant, ils n’échappent pas non plus à la psychanalyse, même s’ils n’en retiennent que deux principes, traduits par les slogans soixante-huitards « plus je fais l’amour, plus je fais la révolution ; plus je fais la révolution, plus je fais l’amour » et « jouissons sans entraves ».

Le premier slogan vient des théories de Wilhelm Reich, psychanalyste allemand mort en 1957, qui n’a pas eu une grande notoriété de son vivant mais va devenir la référence des soixante-huitards. Il associe sexualité et politique : contrairement à Freud, il considère que la libido ne doit pas être réprimée mais libérée, qu’elle n’est pas perturbatrice de la société mais simplement de la société bourgeoise. Freud prônait la sublimation de la libido pour perpétuer la société, Reich prône sa libération car elle est nécessaire à la création culturelle et artistique. La société patriarcale cherche à transformer le peuple en une masse sans désir ni caractère. Reich exige la liberté sexuelle pour tous, hommes et femmes, enfants et adultes. Les soixantes-huitards ont retenu de ses thèses que l’orgasme était subversif. Ces théories sont reprises et actualisées par le philosophe Gilles Deleuze et le psychanalyste Félix Guattari, qui écrivent en 1972 « L’Anti-Oedipe » . Ce livre, qui devient la bible des gauchistes, déclare que tout désir est bon en soit, que le désir est révolutionnaire.

Au début des années 70, le mouvement homosexuel et le mouvement des femmes sont très proches, dans la mesure où ce sont des lesbiennes qui ont été à l’origine de la création du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (F.H.A.R.). Le F.H.A.R. naît à l’occasion d’une manifestation perturbatrice de l’émission radio de Ménie Grégoire, consacrée à « ce douloureux problème, l’homosexualité », en mars 1971. Créé autour de Françoise d’Eaubonne, Marie-jo Bonnet, Christine Delphy, le groupe est rejoint par de plus en plus d’hommes.

Le F.H.A.R. s’inspire du fonctionnement du M.L.F. : chacun prend librement la parole lors des réunions. Les membres essaient de trouver un langage désaliénant, mais contrairement aux féministes différencialistes ils ne cherchent pas à créer un nouveau langage mais à inverser le sens des mots stéréotypés employés par les hétérosexuels. Cette notion est très importante car elle permet de comprendre pourquoi certains homosexuels ont comme référence culturelle des travestis, des « folles ». Selon le chercheur Michael Pollack, le fait d’utiliser comme référence un modèle caricatural de l’homosexuel permet, d’une part, de créer une solidarité du groupe dans l’humiliation collective, et d’autre part, de provoquer en mettant en avant une différence plutôt qu’une ressemblance avec les hommes hétérosexuels. Il existe dans le F.H.A.R. une tendance qui s’appelle les « Gazolines », formée par des travestis habillés en « folles », qui font de la provoc. à l’extérieur et à l’intérieur du F.H.A.R.

On peut comprendre que l’outrance des Gazolines déplaise fortement aux lesbiennes qui y voient tout ce qu’elles détestent c’est à dire les stéréotypes féminins les plus caricaturaux. Elles supportent surtout mal la dérive du F.H.A.R. : les hommes sont rapidement majoritaires, et les réunions tendent plus vers l’orgie sexuelle que vers la définition d’un projet politique. Elles considèrent que le F.H.A.R. reproduit la « culture masculine », et refusent aussi de s’intégrer à ce qui va devenir une culture homosexuelle, basée sur des références masculines. En mai 1972, elles créent le groupe des « Gouines Rouges » qui se constituent en tendance du M.L.F..

Par la suite, les groupes d’homosexuels vont mettre au premier rang de leurs revendications la prévention, le traitement et la recherche médicale sur le S.I.D.A. En ce qui concerne la reconnaissance de l’homosexualité, la France est très en retard par rapport aux pays d’Europe du Nord où les couples d’homosexuels sont reconnus légalement et ont les mêmes droits que les couples mariés sauf, lacune de taille, le droit à l’adoption. En France, ils n’ont droit ni au mariage, ni au concubinage, ni à l’adoption, ni à l’insémination artificielle ; ils n’ont même pas le droit de s’adopter entre eux, ce qui aurait pu être un moyen de contourner l’interdiction d’union légale. En 1992, des députés socialistes déposent une proposition de loi instaurant un Contrat d’Union Sociale , valable pour tous les couples qui partagent une destinée commune mais ne veulent pas ou ne peuvent pas se marier (homos, hétéros mais aussi deux personnes qui ont des intérêts communs).

En ce qui concerne l’évolution récente des moeurs, Michael Pollack considère que l’homosexualité tend à devenir un modèle des relations hétérosexuelles. En effet, le milieu homosexuel a poussé très loin la division entre sexualité et affectivité, car il s’agit d’une culture clandestine, dans laquelle les individus ne pouvait ou ne peuvent pas se permettre de faire empiéter leur vie sexuelle sur leur vie « respectable ». D’où la nécessité de lieux de sociabilité particuliers, qui favorisent les rencontres et diminuent le temps consacré à la recherches d’un partenaire sexuel. Cette contrainte à la clandestinité a été exploitée commercialement. Les couples homosexuels sont, en général, plus instables que la moyenne, car il est difficile de concilier un désir de relation stable avec les tentations des boîtes ou bars gays où les partenaires sont très accessibles. Ainsi les couples se font et se défont rapidement, et cèdent la place à des groupes d’ex-amants qui ont des relations plus confiantes qu’auparavant.

Les sociologues s’intéressent au milieu homosexuel en tant qu’il préfigurerait ce que serait la sexualité en général dans une vingtaine d’années.

BIBLIOGRAPHIE

 

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  • Bach-Ignasse Gérard, « L’homosexualité : la sortie du placard », Panoramiques n°10, 3ème trimestre 1993. Résumé de l’histoire des mouvements homosexuels.
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  • Clément Catherine, « Vies et légendes de Jacques Lacan » (Paris, Grasset, 1981). Lacan est un génie, donc incompris (ou l’inverse).
  • Dhavernas Marie-Josèphe, « Nécessité de la psychanalyse ? », dans Féminismes au présent, Paris : L’Harmattan, 1993. L’auteure répond oui mais n’est pas très convaincante.
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  • Martel Frédéric, « Le rose et le noir : les homosexuels en France depuis 1968 » (Paris, Seuil, 1996).
  • Mitchell Juliet, « Psychanalyse et féminisme » (Paris, éd. Des femmes, 1975). Une interprétation non misogyne de l’oeuvre de Freud.
  • Pollack Michael, « L’homosexualité ou le bonheur dans le ghetto ? », dans Communications n°35, 1982. Le point de vue d’un sociologue sur le milieu homosexuel masculin.

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