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Psycho

Le surf : c’était écrit

D’abord, il y a la connexion à l’océan. Cette connexion était déjà imprimée dans l’ADN de ma famille avant que je ne décide de m’y incarner physiquement. Mon arrière grand-père paternel était pécheur et c’est à bord de sa petite barque traditionnelle, qu’on appelle un “pointu” dans la région d’où je viens, qu’il a enseigné à mon père l’art de la pêche, avant que celui-ci ne m’emmène lui-même à bord de son bateau pour m’apprendre ce que son grand-père lui avait transmis.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai passé la moitié de mon enfance dans les ports à tenter de résoudre le mystère des nœuds marins – que je n’ai d’ailleurs toujours pas résolu – quand ce n’était pas sur un bateau en pleine mer, à la fois fascinée et terrifiée par ce qu’il se passait sous la surface, et qui ne m’était révélé que lorsque je prenais mon courage à deux mains pour le découvrir. Une fois que j’y étais, le plus dur était finalement d’en sortir… Mais ce que je préférais, c’était me percher à la pointe de notre petit hors board pendant que mon père prenait le large, et que j’avais cette impression majestueuse de voler au dessus de l’eau. Quand la houle se formait à l’horizon, je priais pour que mon cher capitaine choisisse cette direction, tout en redoutant le moment où j’aurai l’impression presque réelle de passer par dessus de bord.

L’adrénaline et la liberté, parfaitement conjuguée l’une à l’autre. Ce qui était déjà beaucoup, mais l’océan m’a offert d’autres perspectives à l’adolescence…

A commencer par cette soirée d’hiver où je m’apprêtais à regarder un film avec une copine, et où j’ai eu l’une des plus incroyables intuition de toute ma vie. Je nous revois parfaitement avachies sur le canapé, plus ou moins hypnotisées devant le traditionnel quart d’heure consacré aux bandes-annonces, quand est apparue à l’écran une vague bleue gigantesque et cette fille blonde, pleine de doutes, entourée de sa bande de copines “too cool for school” qui s’entrainent inlassablement pour surfer la dite vague ; une musique planante de Lenny Kravitz ; des locaux tout en muscles qui défendent leurs femmes et leur territoire, un décor bien évidemment tropical à souhait : celui d’Hawaï et de son ultime Pipe Line.

Je suis restée figée devant l’écran, le corps et l’esprit en transe, avec cette impression indescriptible d’avoir en une fraction de seconde découvert ma seule et unique raison de vivre – il me semble même avoir demandé à ma copine de revenir en arrière, je voulais tout revoir en boucle encore et encore. Le film en question – “Blue Crush” comme certains l’ont surement deviné – n’était certainement pas le film de l’année mais ce dont il faisait l’apologie me faisait juste totalement vibrer, sans explication aucune. Je me souviens d’ailleurs avoir des mois durant harcelé mon père, habitué de la FNAC, pour qu’il s’empare du DVD. Quand je l’ai trouvé sur mon lit, j’ai hiberné pendant une semaine.

A l’époque, je vivais encore chez mes parents dans le sud-est de la France, où les possibilités de surfer sont bien évidemment réduites en comparaison de la côte Atlantique. Néanmoins, il y avait Dieu soit loué cette plage pas très loin de mon village, un reef break bien exposé au vent qui fonctionnait plutôt bien – malheureusement peu en été. J’avais deux copines de cours qui avaient l’habitude de faire du Body Board le week-end, je me suis donc tout naturellement jointe à elles. C’était mes premières sensations de glisse, et je suis devenue vite accro. Après les cours, je prenais régulièrement mon vélo et grimpais les 6km de côte depuis la maison de ma mère jusqu’au sommet de la colline où j’habitais, pour voir si le swell était bon. Depuis, j’ai gardé des mollets en béton…

J’ai souvenir de ce jour où mon père m’a déposée sur la plage, le mistral soufflait comme un forcené, la mer était déchaînée. Il m’a faite jurer de ne pas aller dans l’eau toute seule, j’ai dis que mes copines m’attendaient pas très loin. Mais en vérité, aucune fille dans l’eau ce jour là. En temps normal, je me débrouillais plutôt pas trop mal – il m’était même déjà arrivée, non sans fierté, de me faire acquiescer de la tête par d’autres bodyboarders après avoir pris une petite bombe… Mais ce jour là, la mer m’a gentiment remise à ma place. Quand je suis sortie de cette machine à laver, je me suis écroulée sur le sol, vide de tout. Un surfeur, qui m’avait observée toute la session avec ses potes depuis la plage, est finalement venu me parler.

Je me souviens de lui comme d’un hologramme, j’ai oublié son nom, à quoi il ressemblait, tout cela… J’ai juste en mémoire qu’il s’apprêtait à partir pour surfer dans des iles – ce à quoi mes pensées avaient répondu, “un jour, moi aussi” – et qu’il dégageait une force tranquille que j’enviais profondément. Je m’étais faite la remarque que l’océan avait cette faculté de sublimer tout ce qui entrait en son contact. Quant à moi, il m’a dit avec le sourire que globalement rien allait, ma planche, ma position… Mais que, en revanche, j’avais beaucoup de courage.

Puis les études, le travail, Paris, la vie… Le surf est resté dans un coin de ma tête mais ce n’était clairement plus d’actualité. Pendant plus de dix ans. Jusqu’à ce que je découvre le Yoga, que ce dernier me conduise à Bali, où je me suis finalement assise un après-midi à la terrasse d’un beach bar pour regarder faire des gens ce que j’avais toujours rêvé de faire et que j’avais oublié. Je me souviens de cette fille, que j’ai d’ailleurs discrètement photographiée. Quand elle est arrivée sur la plage, j’ai eu cette sensation qu’elle avait quelque chose d’à la fois très masculin et féminin, comme si les deux énergies cohabitaient parfaitement en elle. J’ai senti que l’océan avait en partie forgé cela. Elle s’est assise quelques instants sur le sable pour observer les vagues puis, avec sa planche sous le bras, s’est jetée à l’eau. J’ai eu cette pensée instantanée : cela pourrait être moi. Non, C’EST moi. Ou tout du moins, une version de moi qui m’attend quelque part en ce moment…

Mais j’étais venue à Bali pour faire du Yoga et je n’ai donc pris mon premier cours de surf qu’à la fin de mon voyage, deux jours avant de rentrer. Ce fut cependant le meilleur moyen de me trouver une excuse, après avoir définitivement quitté Paris, pour revenir dans les mois qui ont suivis avec la ferme intention de surfer pour de bon. J’ai donc gardé en mémoire le nom de mon coach puisque, comme je l’avais décidé, ce serait lui et personne d’autre qui allait m’apprendre à surfer.

Quand je suis revenue, il m’avait oublié… Mais pas moi. J’ai donc pris un peu plus de 5 cours avec lui – oui, c’était pas gagné du tout. Mais on a persévéré, tous les deux. Quand je perdais mes esprits, il me répétait que c’était mes pensées qui conditionnaient mon surf, et que si je restais dans mon mental, je louperais toutes mes actions – cela me rappelait quelque chose. Il me donnait peu d’indications, mais elles étaient toujours très justes… Parfois, il repoussait gentiment mes limites et me disait en souriant qu’il travaillait à me donner du courage (le courage, encore…). Un jour, sans que je ne m’en aperçoive, il m’a progressivement emmené plus loin. Je me souviens de son visage rieur, et de ma réaction : “ bah quoi ?”. “Tu ne te rends même pas compte que tu surfes des vagues plus grosses”. Puis ce fameux et dernier après-midi où il paddlait derrière, et ou ce n’était plus lui mais moi qui choisissais mes vagues. En sortant de l’eau, il m’a dit : “Laura, tomorrow, you can go by yourself…”.

And I did…

Mais des blessures au corps, au cœur aussi, des imprévus, des allers-retours multiples entre l’Indonésie et la France… Finalement, il aura fallu attendre presque un an pour que je puisse installer la routine que je voulais, et cela a commencé après mon passage à Sumatra et ma rencontre avec un local des iles Mentawais, qui m’a tout fait reprendre depuis le début. Comme la plupart des mecs de Padang, Andre a commencé avec le skateboard. Mais dans le village de pécheurs où il a grandi et fondé une réserve de tortues marines, c’est plutôt le surf qui se pratique.

Quand je l’ai rencontré, il n’avait qu’un seul objectif : me faire surfer. Ensemble, on a écumé tous les spots de surf où il fait bon de revoir ses basiques : Kuta Beach, Double Six, Niksoma, mon beach break favori Batu Bolong, Jimbaran quand le swell était trop gros, et finalement Padang Padang (off bien sûr) dont j’ai gardé la marque du reef sur le genou droit.

Les locaux ne roulent pas sur l’or, alors on avait un deal parfait : je payais les repas, entre autres, et il m’apprenait tout (je lui apprenais aussi le Français et lui l’indonésien, ce qui donnait lieu à des fou rires interminables). C’est lui qui m’a mise le plus en condition, en repoussant tout doucement mes limites, en croyant en moi. C’est lui aussi qui m’a totalement initiée à la culture surf, et fait découvrir des légendes comme Craig Anderson, Jay Moriarty et j’en passe. Nos journées étaient plutôt basiques : surfer, manger, dormir et recommencer.

On pourrait trouver cela terriblement romantique de se faire enseigner le surf par un être exotique comme celui que j’avais trouvé. En vérité, on passait quasiment notre temps à se disputer dans l’eau. Il faut dire que j’ai un peu de mal avec l’autorité et que les locaux n’ont pas vraiment l’habitude qu’une femme leur réponde. Hum. Il y a donc eu cette fois où, surestimant mes capacités physiques, il m’a fait prendre une vague où le courant était sans foi ni loi. Je n’ai jamais pu paddler out pour revenir et, après 10 minutes interminables de surplace, je me suis laissée emporter pour sortir de l’eau 100 mètres plus loin, hors de moi et totalement prise de panique, mais dépourvue d’énergie pour le manifester. Je ne sais plus dans quelle langue nous nous sommes insultés ensuite, mais il y a eu cet instant où j’ai compris que surfer, cela s’apprenait tout seul.

Ou presque…

Quand j’enseignais le Yoga, j’avais l’habitude de dire que la pratique était notre miroir. Dans les postures, on peut faire preuve d’impatience, de curiosité, de contentement… de courage. Peu importe, on fait l’expérience de nous-même en train de nous mouvoir sur un tapis. Deux options s’offrent alors à nous : croire que ces attitudes sont la réalité de ce que nous sommes et nous identifier à elles – ce qui peut être parfaitement déplaisant : “je suis nulle, je ne vaux rien” mais aussi valorisant : “qu’est ce que je suis forte !”. Ou bien, on peut aussi observer ces attitudes, entendre qu’elles sont éventuellement les mêmes que celles que nous avons hors du tapis, mais qu’elles ne sont pas NOUS pour autant. NOUS, c’est la présence derrière qui observe et qui respire, mais aussi étrange que celui puisse paraître, NOUS c’est aussi l’objet qui observe. Dans la connexion au présent et le lâcher prise le plus absolu, on comprend que l’oeil qui regarde et l’objet qui est regardé sont exactement la même chose.

Quand je suis sur le line-up et que la situation m’échappe ou que quelque chose ne se passe pas comme je l’aurais voulu, je suis totalement face à moi-même. Et la première émotion qui survient la plupart du temps, c’est la peur. Si je me laisse dévorer par elle, en général je prends la fuite – dans le meilleur des cas. Si, au contraire, je décide d’accepter cette peur sans pour autant construire par dessus elle, alors la lutte cesse et je peux aller à la source, faire l’expérience de ce que certains appelleraient le divin. Quand je vois une montagne s’approcher, je sais qu’il n’y a pas d’autres issues. Elle est là, et elle va arriver quoi qu’il en soit. Si je décide de la surfer, cette vague va peut-être m’engloutir – et dans ce cas là je ne pourrais qu’attendre qu’elle aie finie, à quoi bon lui résister ? Ou bien, et c’est bien évidemment l’option que je préfère, on va danser toutes les deux sur le même tempo, et elle va me ramener sur la plage. Mais dans les deux cas, si j’ai bien fait échec à la peur, je suis la présence derrière qui observe. Et surtout, je suis l’océan.

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