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Condition Féminine

La prostitution : les visages de la prostitution ont-ils évolué ? Décryptage

Les représentations de la prostitution véhiculent de nombreux clichés, notamment l’idée que ce serait « le plus vieux métier du monde », alors que le plus vieux métier du monde est probablement celui de chasseur-euse, de berger-ère… Cette idée est liée à l’argument selon lequel l’homme a toujours dominé la femme, surtout dans la sexualité, c’est dans la nature des choses et l’on ne peut rien y changer.

Il existe une autre croyance, théorisée au XIXe siècle mais encore entendue aujourd’hui, selon laquelle la prostitution est la conséquence d’un dérèglement sexuel de certaines femmes (la prostituée est une nymphomane). On entend encore aussi souvent que l’existence de la prostitution est utile à la société car elle permet de limiter les viols, en canalisant les pulsions sexuelles masculines qui sont de toute façon irrépressibles.

La prostitution suscite le plus souvent soit le rejet et la stigmatisation, soit la fascination (ces deux sentiments ne s’excluant pas), qui s’appuie sur des clichés tenaces : la littérature et le cinéma ont beaucoup contribué à folkloriser la prostitution, avec l’image de la « pute au grand cœur », des romans de Maupassant aux films de Guédiguian en passant par le cinéma des années 50. Ces mythes se situent toujours du point de vue de l’homme-sujet, en plaçant la prostitution du côté d’une joyeuse libération sexuelle (on parle des « filles de joie »), qui gomme le sordide, la violence et les rapports de domination, ou du côté du sacrificiel, d’un abandon admirable au désir de l’homme.

LA REALITE DE LA PROSTITUTION.

1.1 – Les personnes prostituées

Selon l’OCRTEH (Office Central de Répression de la Traite des Êtres Humains), il y aurait entre 15 000 et 18 000 prostituées en France (15 000 à 30 000 selon le Quid), dont environ 30 % d’étrangères. À Paris, on recenserait environ 4 000 « régulières » sur le trottoir et 2 000 clandestines, et certaines sources évoquent plusieurs dizaines de milliers d’occasionnelles. La prostitution occasionnelle se développe en tout cas (toxicomanie ou volonté d’arrondir ses fins de mois).

Le nombre de prostituées étrangères est en augmentation ; parmi elles, une grande partie viennent d’Afrique, mais on trouve aujourd’hui beaucoup de jeunes filles amenées des pays d’Europe de l’Est par les réseaux albanais ; elles seraient 300 000 dans toute l’Europe occidentale.

La prostitution se transforme, prend de nouvelles formes : elle est moins sur les trottoirs et davantage sur Minitel, dans des studios, dans les salons de massage, dans les hôtels, etc. La prostitution de trottoir se déplace en périphérie des villes.

Les analyses sociologiques montrent un certain nombre de traits communs dans l’histoire personnelle des prostituées.

Il apparaît que 80 % des prostituées ont subi des abus sexuels au cours de leur enfance.

De nombreuses prostituées disent qu’elles le sont devenues, paradoxalement, pour « se venger des hommes », car se prostituer, c’est les « faire payer », au sens propre et donc aussi au sens figuré. De plus, c’est acquérir une « valeur » chiffrable, pour celles qui pensent n’en avoir aucune, parce qu’elles ont été méprisées ou humiliées ou qu’elles ont eu de graves carences affectives.

Les proxénètes profitent aussi souvent de jeunes filles et de femmes isolées d’un point de vue social et/ou familial : des filles placées dans des foyers, des immigrées sans papiers…

La pauvreté, le besoin d’argent peuvent pousser à recourir à la prostitution, qui semble une manière rapide de gagner beaucoup d’argent. En fait, même si elles gagnent beaucoup d’argent, les prostituées en gardent peu, entre ce qui va au proxénète et les énormes frais qu’engendre la vie prostitutionnelle (studio ou chambre qu’elles utilisent, impôts et amendes, vêtements et maquillage, alcool, etc.).

La prostitution touche beaucoup de femmes sans formation, sans emploi, parfois sans domicile, sans papiers. Les femmes qui sortent de prison, par exemple, n’ont parfois pas d’autre choix pour survivre. Comme le dit une chercheuse, « Si la prostitution est librement consentie, pourquoi sont-ce toujours les femmes qui ont le moins de choix qui l’exercent ? »

1.2 – La prostitution masculine

Quantitativement, la prostitution masculine reste beaucoup moins importante que la prostitution féminine, mais la proportion d’hommes a considérablement augmenté ces dernières années. Selon la police, un tiers des prostitué-es seraient des hommes, mais cette proportion ne prend pas en compte les nouvelles formes de prostitution (dans les salons de massage, il n’y a presque que des femmes).
Il semble que beaucoup de garçons commencent à se prostituer habillés en hommes, puis deviennent travestis parce que ça rapportent plus ; ceux qui prennent des hormones pour développer les seins gagnent encore davantage.

Les prostitués hommes sont en moyenne plus jeunes que les femmes (les garçons sont beaucoup moins demandés après 30 ans). Ils sont en majorité d’origine française, mais, comme pour les femmes, on assiste actuellement à une arrivée massive de jeunes venus de l’Est. Également beaucoup en provenance d’Amérique du Sud. Les prostitués se disent moins soumis que les femmes à des proxénètes, mais en réalité, ils paient souvent des protecteurs ou des entremetteurs.

Selon Jean Feschet (« Garçons pour trottoirs »), « C’est l’intolérance dont l’entourage fait preuve à l’égard du garçon homosexuel qui finit par condamner certains d’entre eux à la prostitution. »

Plus du tiers des garçons prostitués auraient été victimes de viol pendant l’enfance. On retrouve aussi beaucoup de jeunes en galère, qui ont besoin d’argent, des jeunes qui connaissent des problèmes familiaux graves, des drogués.

En tout cas, un point commun entre les prostitutions féminine et masculine : elles s’adressent toutes deux aux hommes.

L’objet sexuel peut être féminin ou masculin, mineur ou non, il est toujours – à de très rares exceptions près – au service du sujet homme.

1.3 – Les enfants prostitués

La prostitution des enfants et des adolescents est surtout liée au tourisme sexuel. Elle concernerait trois millions de mineurs dans le monde (sce Unesco).

Il s’agit en fait des mêmes réseaux que pour la prostitution adulte, et souvent des mêmes clients. Il n’y a aucune différence fondamentale entre le client des adultes et le client des enfants.

1.4 – La drogue

Ce sont souvent les mêmes réseaux qui font commerce des femmes et de la drogue dure. La drogue aide les prostituées à supporter les passes, mais elle est pour le proxénète une garantie de soumission. La prostituée devient dépendante à la fois de la drogue et de son proxénète, qui la lui fournit.

Selon Jean-Michel Carré, auteur de plusieurs documentaires sur la prostitution à Paris, 80% des prostituées parisiennes seraient droguées : il y a celles qui se prostituent pour payer la drogue, et celles qui se droguent pour supporter la prostitution… ou les deux : «Au début, j’ai pris de la drogue pour travailler, et puis, très vite, j’ai travaillé pour la drogue.»

L’alcool peut remplacer la drogue, toujours pour mieux supporter la prostitution.

Cependant, certain-es prostitué-es refusent les deux.

1.5 – La violence et la peur

La peur paraît être le sentiment le plus partagé par les prostitué-es. La violence peut venir du proxénète (violence physique ou psychologique), mais aussi et surtout du client, voire des autres prostituées (concurrence). Le meurtre de prostituées est relativement fréquent, mais peu médiatisé.

Une enquête sur les conditions de vie des personnes prostituées révèle que « les agressions par des hommes isolés ou en bandes sont extrêmement fréquentes. Plus d’un tiers des personnes contactées ont subi au moins une agression au cours des quatre/cinq mois précédant l’enquête. Ces agressions, qui vont parfois jusqu’au meurtre, donnent rarement lieu à une plainte auprès de la police. Des travaux sociologiques sur la prostitution et sur les violences montrent également une sous-déclaration systématique due à une sous-évaluation d’agressions considérées comme “normales” dans le travail sexuel ».

La prostitution la plus dangereuse est celle pratiquée « sur route », c’est-à-dire sur les trottoirs en périphérie des villes.

1.6 – À qui profite le crime ?

95 % des prostituées « professionnelles » dépendent de 15 000 proxénètes.
Le chiffre d’affaires annuel de la prostitution en France représenterait de 10 à 20 milliards de francs, dont 70 % reviendraient aux proxénètes. Le proxénétisme à l’échelle mondiale brasse plus d’argent que le trafic de drogue.

Le nouveau Code pénal de 1994 a accru la répression contre le proxénétisme. Les proxénètes sont passibles d’amendes de 10 000 à 200 000 F, plus éventuellement 6 mois à 2 ans de prison, dans le cas de proxénétisme « simple » (c’est alors un délit) ; le proxénétisme « aggravé » (proxénétisme organisé, ou exercé avec violence, contrainte, torture, ou sur un-e mineur-e) est un crime, et les peines vont de 2 à 10 ans de prison (5 à 20 ans selon une autre source) et jusqu’à 10 000 000 F d’amende. En revanche, le nouveau Code ne qualifie plus de proxénétisme la simple cohabitation avec une personne prostituée, ce qui entravait le droit des prostituées à avoir une vie privée.

1.7 – Le client, violeur légal

C’est toujours la prostituée, jamais le client, qui est sous les projecteurs dès qu’on parle de prostitution, c’est elle qui est culpabilisée. Le client qui erre sur un trottoir à la recherche d’une prostituée n’est jamais arrêté pour racolage. Pourtant, c’est la demande qui crée l’activité : plus de clients, plus de prostitution. Le client est appelé « le prostituant » par certains chercheurs ou militants.

Jusque récemment encore (années 60), il était fréquent – et admis – que les adolescents connaissent leur première expérience sexuelle avec une prostituée, la virginité masculine étant plus honteuse que valorisée. Heureusement, cette coutume tombe en désuétude (selon une enquête de 1992, 12,5 % des hommes nés avant 1943 avaient eu leur premier rapport sexuel avec une prostituée ; les hommes nés entre 1962 et 1973 n’étaient « plus que » 2 % dans ce cas) ; mais hormis ce cas particulier, la « clientèle » n’a pas foncièrement changé.

Les clients sont toujours des hommes (selon une enquête de terrain, le peu de femmes qui pourraient être potentiellement clientes sont refusées par les prostitués hommes ou femmes, sauf cas extrêmement marginaux). Sociologiquement, ils se recrutent dans toutes les classes sociales, tous les groupes de la société – comme c’était déjà le cas au XIXe siècle -, avec quand même une certaine sur-représentation des habitants des grandes villes et des cadres. On peut distinguer les «réguliers», les habitués du recours aux prostituées, qui représenteraient 3 % à 5 % de la population masculine ; les «occasionnels», qui constitueraient 15 % à 20 % de cette population ; enfin les «exceptionnels», qui peuvent avoir recours à cette pratique un soir de cafard… (Mais cette proportion est difficile à évaluer, elle peut être beaucoup plus élevée.)

Différentes raisons sont invoquées pour recourir à une prostituée : il y a l’insatisfait de la routine conjugale, le complexé, l’homme qui a peur des femmes, celui qui veut assouvir un fantasme, ou juste s’offrir un moment de détente, etc. Il faut noter que, inversement, la société n’a pas songé à fournir aux femmes insatisfaites ou qui ont peur des hommes, des garçons à leur disposition pour assouvir leurs besoins sexuels.

Le pourcentage d’hommes ayant eu recours à une prostituée est donc assez élevé, mais cette pratique est souvent cachée, honteuse. Le client se libère de cette relative mauvaise conscience grâce à l’argent qu’il donne (il se sent alors « quitte »), et aussi grâce à la croyance entretenue qu’après tout, c’est elle qui a choisi sa vie, elle est responsable de ce qui lui arrive. Le fait de payer leur permet aussi de se comporter en clients-rois : payer, c’est pouvoir tout se permettre. Les clients pensent souvent que la prostituée est quelqu’un qui s’en fout, ou qui se plaît à être un objet sexuel. Témoignage d’un client : « Je paie bien mon pressing, je me fais livrer ma pizza, pourquoi pas payer pour tirer un coup avec une pute… On vit dans une société de consommation, les prostituées sont à consommer, moi je choisis et je paie, c’est tout. »

LES POLITIQUES POSSIBLES FACE A LA PROSTITUTION

2.1 – Les différents régimes

a) Régime prohibitionniste

Il consiste à interdire la prostitution et à exercer une répression contre les personnes qui s’y livrent, l’organisent et l’exploitent. La personne prostituée et le proxénète sont considérés comme délinquants, passibles de poursuites et de pénalités.

Ce régime a prévalu en France sous l’Ancien Régime et existe encore dans plusieurs pays (notamment dans certains états des États-Unis, en Chine, dans les pays arabes du Golfe).

b) Régime réglementariste

Il part du postulat que la prostitution est «un mal nécessaire», ou un fait social inévitable.

Saint Augustin, Ve siècle : «Supprime les prostituées, les passions bouleverseront le monde ; donne-leur le rang de femmes honnêtes, l’infamie et le déshonneur flétriront l’univers.»

Docteur Parent-Duchâtelet, 1830 : «les prostituées sont aussi inévitables, dans une agglomération d’hommes, que les égouts, les voieries et les dépôts d’immondices» ; «elles contribuent au maintien de l’ordre et de la tranquillité dans la société».

Puisque la prostitution est inévitable, il faut la canaliser, la contrôler, l’organiser. La prostitution s’exerce alors sous le contrôle de la police et des municipalités ; elle est insérée dans les structures de la société, localisée dans des lieux précis et soumise à des règles : maisons closes, registres, cartes, fiches de police, avec une surveillance médicale des personnes prostituées.

Ce régime fut celui de la France de 1802 à 1946, et est encore celui de nombreux pays aujourd’hui, comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Grèce, la Turquie. Les adeptes du réglementarisme mettent en avant le plus souvent des arguments à la fois d’ordre et de sécurité sanitaire, puisque la maison close permettrait de surveiller la santé des prostituées et de lutter contre la propagation des maladies sexuellement transmissibles (syphilis au XIXe siècle, S.I.D.A. aujourd’hui). En fait, le réglementarisme d’une part a échoué dans ses objectifs prophyllactiques et d’autre part n’a jamais réussi à empêcher la prostitution clandestine dans les rues. De plus, il favorise le contrôle par les proxénètes (police française avant 1946 qui ramenait à leur proxénète les filles qui s’enfuyaient des maisons closes). Pour ce qui est du S.I.D.A., il s’avère que les prostituées régulières prennent soin de leur santé et 80 % d’entre elles utilisent des préservatifs, ce sont plutôt les clients qui sont irresponsables puisque certains exigent un rapport sans préservatif (surtout avec les « occasionnels », ou pour les fellations donc lorsqu’eux-mêmes ne risquent rien), or eux sont toujours exempts de tout contrôle médical. On parle aujourd’hui de néo-réglementarisme. En 1990, l’ex-ministre de la Santé Michelle Barzach proposait la réouverture des maisons closes, principalement pour lutter contre le S.I.D.A.. Professeur Aron (Le Figaro) : «Le plus vieux métier du monde a résisté à tous les assauts administratifs, car il est inhérent aux mœurs éternelles. La reconnaissance de la légitimité de cette profession serait une attitude raisonnable qui abolirait une discrimination frappant une fraction non négligeable de la population féminine, vouée à l’isolement social et à la clandestinité».

c) Régime abolitionniste

Les partisans de ce régime préconisent l’abolition de la réglementation, mais pas forcément de la prostitution elle-même. Ce type de revendications a pris naissance en Angleterre dans les années 1870, avec Joséphine Butler.

Le texte de référence est celui de la Convention internationale de l’ONU du 2 décembre 1949, «Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui», signée par 72 pays, dont l’Espagne, l’Italie, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Irlande, le Canada, le Danemark. Une résolution de l’O.N.U. de 1993 proclame que «L’esclavage des femmes et des enfants soumis à la prostitution est incompatible avec la dignité de la personne humaine et avec ses droits fondamentaux.» La F.I.D.H. (Fédération Internationale des Droits de l’Homme) a rejoint le «combat contre l’exploitation sexuelle des êtres humains, y compris la prostitution».

La France est censée être abolitionniste depuis la loi dite Marthe Richard du 13 avril 1946, mais n’a ratifié cette convention qu’en 1960.

En France, la prostitution est considérée comme une activité libre : une démarche individuelle, un acte privé qui peut s’exercer s’il ne trouble ni l’ordre public ni la morale. Mais l’organisation et l’exploitation de la prostitution (proxénétisme), et ses manifestations visibles (maisons closes, racolage) sont interdits et réprimés. Les registres, fichiers de police, et la surveillance médicale ont été supprimés (officiellement). Les objectifs prioritaires (officiellement) sont la prévention et la réinsertion. En fait, la France se situe plutôt entre abolitionnisme et néo-réglementarisme, voire prohibitionnisme.

Remarque:
Certaines associations comme le Mouvement du Nid n’admettent aucun des trois systèmes (même si l’abolitionnisme est déjà un progrès) : ils veulent travailler à la disparition de l’esclavage prostitutionnel.

2.2 – En France, l’État proxénète

L’attitude de l’Etat :

Les prostituées paient des impôts sur le revenu, puisque leur activité est considérée comme une profession libérale, et leurs revenus classés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Elles sont assujetties à la T.V.A., à la taxe professionnelle et à l’Urssaf.

Le proxénète peut aussi être imposé sur les sommes reçues des personnes qu’il prostitue, au titre des bénéfices industriels et commerciaux, alors que son activité est un délit…

L’État français peut donc être qualifié de proxénète : en engrengeant des impôts sur cette activité, il exploite la prostitution d’autrui ; en réclamant des arriérés d’impôts, il est une entrave à la réinsertion. En effet, certaines prostituées qui voudraient changer de vie sont contraintes de continuer à se prostituer pour pouvoir payer d’énormes arriérés d’impôts réclamés par l’administration fiscale. Pourtant, il semble qu’une note de la direction générale de l’administration fiscale stipule qu’en cas de réinsertion clairement établie et attestée par les services sociaux, il peut être accordé une remise gracieuse des impôts. (pas appliqué ?)
L’attitude de l’État est incohérente : le ministère de l’Intérieur réprime, celui de la Justice pénalise donc interdit, le ministère des Finances fiscalise donc reconnaît, tandis que le ministère des Affaires Sociales est chargé de mettre en place des mesures de prévention de la prostitution et de réinsertion des personnes prostituées.

Mais que fait la police ?

Contrairement à la loi de 1946 qui supprimait toute réglementation de la prostitution et à l’ordonnance de 1960 qui supprimait le fichier sanitaire et social de la prostitution, un fichier continue d’être tenu par la police (à tel point que le premier souci des personnes quittant la prostitution est de se faire «déficher»).
La police a toujours harcelé les prostituées. Depuis la réforme du Code Pénal du 1er mars 1994, la notion de «racolage passif» a été supprimée, ce qui réduit les procès-verbaux qui pour certaines prostituées étaient presque quotidiens, ainsi que les poursuites judiciaires qui étaient fréquemment engagées pour le recouvrement des amendes. Mais il subsiste une infraction définie comme «le fait, par tout moyen, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles» : cette définition vague laisse le champ libre aux interprétations des policiers, qui peuvent encore verbaliser les prostituées.
De plus, pour plaire aux riverains qui se plaignent, la police procède de temps en temps au «nettoyage» d’un quartier, ce qui ne fait que repousser le problème un peu plus loin. En effet, si la prostitution est une activité libre, les maires ou préfets peuvent prendre un arrêté pour assurer «le bon ordre, la sécurité et la salubrité publique», c’est-à-dire interdire le va-et-vient des prostitué-es, de manière limitée dans le temps et dans l’espace. Les proxénètes, dont l’existence même est interdite par la loi – contrairement à celle des prostituées – sont paradoxalement moins harcelés par la police (seuls quelques «petits» sont de temps en temps arrêtés).

L‘indulgence de la police à leur égard s’explique par le fait qu’ils servent d’indics précieux pour faire tomber des réseaux de drogue ou de grand banditisme, activités jugées plus graves par les autorités policières que l’exploitation sexuelle organisée (comissaire Javilliey, jugé en 1973 pour corruption, après avoir protégé des proxénètes : «Le proxénétisme est un moindre mal s’il permet de pénétrer le milieu et de désorganiser des bandes bien plus dangereuses pour la société»). Ceux qui tombent, c’est en fait souvent pour redressement fiscal.

2.3 – La situation dans d’autres pays occidentaux

L’Allemagne est réglementariste, et a créé des eros centers, sorte d’hypermarchés du sexe, construits dans des zones spéciales à la phériphérie des grandes villes. Cette « industrie » est très rentable pour les financiers qui y investissent et pour l’État grâce aux taxes. Bien que légaux, ces établissements sont aux mains des proxénètes, une prostituée ne peut s’y inscrire en indépendante, sans l’autorisation d’un proxénète. Les prostituées sont soumises à un contrôle sanitaire régulier, sanctionné par des certificats de «bonne pour le service». Elles sont cantonnées dans ces centres, surveillées (et parfois battues) par les proxénètes. La majorité sont étrangères (beaucoup d’Antillaises), certaines illégales. Comme en France avant 1946, la police ramène celles qui tentent de s’enfuir. Ces centres n’empêchent pas par ailleurs la prostitution clandestine.

Les Pays-Bas vont encore plus loin dans le réglementarisme, avec une volonté d’intégrer pleinement la prostitution dans la vie économique et sociale, au même titre qu’une autre activité. La gestion des maisons closes incombe aux municipalités : les maires signent des conventions avec les tenanciers, qui comprennent des normes d’hygiène, de confort et de conditions de travail. Les prostituées sont des «professionnelles de la sexualité» ; elles sont recrutées par offres d’emploi officielles, il existe pour elles des cours payants de prostitution, et elles adhèrent à la plus puissante centrale syndicale du pays, catégorie «services publics». Les proxénètes sont des «managers de l’industrie du sexe» et les tenanciers sont regroupés en une association qui défend leurs intérêts : l’Organisme pour la prostitution en vitrine. Le proxénétisme est donc légalisé : la prostituée est libre de faire profiter une autre personne de son argent, les autorités définissant ce concept comme «un consentement de plein gré à sa propre exploitation». Cette politique ultralibérale a beaucoup développé le marché de la prostitution : 2 500 prostituées en 1981, 20 000 en 1989.

Théoriquement, les prostituées doivent obligatoirement avoir des papiers en règle ; en fait, 70 % sont étrangères, dont 80 % d’illégales (surtout dans les petites villes, moins contrôlées), et la plupart viennent de pays pauvres. Ce qui relativise beaucoup la distinction hypocrite entre prostitution libre et prostitution forcée : cette dernière est censée être pénalisée, c’est-à-dire quand le proxénète exerce violences ou chantage, amène de force aux Pays-Bas des étrangères pour les prostituer (ils peuvent alors être condamnés pour «trafic d’êtres humains»). Or les sans-papiers ne portent évidemment pas plainte, d’autre part c’est à la victime de fournir les preuves de son exploitation, donc beaucoup ne protestent pas par peur de représailles. Les trafiquants n’encourent de toute façon pas de lourdes peines : en 1994, la peine maximale est passée de cinq à six ans (soit deux fois moins que pour trafic de drogues dures), et dix ans maximum s’il s’agit de trafic organisé d’enfants de moins de 16 ans et/ou accompagné de graves violences physiques. En réalité, la moitié des procès se terminent par des non-lieux [1993 : 5 sur 9], et les peines prononcées sont bien inférieures aux peines maximales, parfois avec sursis.

La politique de libéralisation de la drogue aux Pays-Bas avait provoqué des débats publics houleux ; il n’en est pas de même pour la libéralisation du marché du sexe : la drogue peut concerner tout le monde, tous les milieux, alors que la prostitution concerne surtout des milieux pauvres, marginaux, et puis quasiment que des femmes… (même type de raisonnement que la police). Cette orientation réglementariste et libérale tend à progresser dans les rencontres internationales ou européennes sur la question.

Certains pays qui au contraire veulent voir disparaître la prostitution mais refusent la stigmatisation des prostitué-es elles-mêmes portent leur attention sur les clients.

Au Québec, les lois qui répriment le racolage dans les lieux publics impliquent maintenant la condamnation de la/du prostitué-e et du client.

En Californie, depuis 1995, il existe une «école des clients», qui fait partie du Programme pour les délinquants primaires de la prostitution, et dont le principe se fonde sur le fait que la plupart des clients ne savent rien (ou ne veulent rien savoir) des réalités de la prostitution et de ce que ressentent les prostituées. Les clients interpellés pour racolage ont le choix entre des travaux d’intérêt général ou une amende, et une journée dans cette école des clients, où des anciennes prostituées viennent leur expliquer leur point de vue, leur parler de leur vécu.

Témoignage d’une prostituée: «Je voulais me venger à travers tous ces hommes de ce que je subissais. Pour moi, le client n’était qu’un portefeuille en marche qu’il fallait stopper et voler. Pour lui, j’étais l’exécutoire de ses fantasmes, le sexe universel où l’on déverse le trop-plein de ce qui vous ronge. […] Ils nous en veulent de leur soutirer de l’argent et nous, nous avons la haine d’être soupesées, estimées à tant d’argent comme des marchandises […]. Le client s’avilit en montant avec une femme prostituée, mais pour ne pas s’avilir seul, il la paie. Pour lui, c’est peut-être moins lourd à porter, mais pour moi, c’est atroce. Même le client habitué avec qui on se sent plus à l’aise, j’ai toujours la sensation d’être violée, salie, et même après trois ans, j’ai encore cette sensation de dégoût…»

Apparemment, cette méthode est efficace : en 1999, on ne comptait que 18 récidivistes sur 2 181 hommes passés par cette «école».

En Suède, le Parlement a décidé de punir l’«achat de services sexuels». Depuis le 1er janvier 1999, le client est considéré comme un exploiteur, au même titre que le proxénète ; il est passible, au mieux d’une amende, au pire de six mois de prison. La prostituée n’est en revanche pas du tout poursuivie (pas de délit de racolage). Pour mettre en place cette politique, le gouvernement a débloqué 32 millions de francs (dont 8 millions pour la formation des policiers). Une députée suédoise affirme : «Ce n’est pas une question de sexualité mais de pouvoir et d’égalité. Comment pouvons-nous interdire à un homme de frapper sa femme, de harceler sexuellement sa collègue de bureau s’il peut en toute impunité s’offrir une prostituée ?» En fait, rares sont les clients poursuivis et condamnés, mais la mesure est très dissuasive. De plus, elle semble faire évoluer les mentalités : les services sociaux qui donnent aux clients la possibilité de suivre une psychothérapie sont débordés, et les sondages indiquent que les jeunes sont majoritairement favorables à la nouvelle loi. Cette politique a cependant ses limites : elle est efficace pour faire régresser la prostitution de rue, mais celle-ci se déplace et devient plus clandestine, grâce notamment à Internet et au téléphone portable.

2.4 – Comment réagir en France et en Europe ?

Toutes les prostituées, ainsi que ceux qui travaillent sur la question, sont d’accord pour se révolter contre la réalité actuelle de la prostitution et contre les réglementations en vigueur. Ce qui diffère nettement, c’est l’analyse du problème et les solutions proposées.

Les revendications de certaines associations de prostituées

Certaines prostituées réclament la reconnaissance de la prostitution comme un métier, pour en finir avec la stigmatisation dont elles sont victimes. Leurs revendications portent sur l’amélioration des conditions d’exercice de leur activité (suppression de la répression policière), l’obtention d’un statut de « travailleuses du sexe », accompagné d’une couverture sociale et d’une retraite. En 1991, 83 % des prostituées n’avaient aucune couverture sociale, notamment par volonté de préserver leur anonymat.

Le « Bus des femmes » qui fonctionne à Paris depuis 1991 (comme Cabiria à Lyon depuis 1993) se situe plutôt dans cette approche néo-réglementariste. Au départ, il a surtout été créé pour la prévention contre le sida. Mais il est aussi un lieu d’information et d’échanges entre prostitué-es.
Mais en même temps ces prostituées réclament l’application des textes qui facilitent la réinsertion.

Le Mouvement et l’Amicale du Nid et la Fondation Scelles : les prostituées sont des victimes d’un système
D’autres associations, notamment le Mouvement du Nid, l’Amicale du Nid, la fondation Scelles veulent faire reconnaître que sur le principe, la prostitution est intolérable, et qu’on ne peut que souhaiter sa disparition, à terme évidemment, car il ne s’agit pas de prohibitionnisme. Il ne faut donc surtout pas l’institutionnaliser, mais plutôt chercher des moyens pour qu’elle disparaisse. La réglementer rendrait impossible d’envisager sa disparition.

Ils considèrent que les prostituées sont les victimes d’un système. Des tests psychologiques pratiqués auprès de personnes prostituées montrent que 67 % présentent les symptômes du PTSD, stress post-traumatique dont souffre notamment les anciens soldats de la guerre du Vietnam ou les survivants des camps de concentration.

Les opposants à la disparition de la prostitution taxent régulièrement les abolitionnistes de puritains : le droit à la prostitution ressortirait de la liberté sexuelle. En fait, comme le dit Nadine Plateau, féministe, « Le patriarcat moderniste pervertit le message libérateur du féminisme en décontextualisant ses revendications les plus fortes : ainsi, le droit à disposer de son corps, exigence élémentaire des femmes, devient le droit de le vendre. » Les luttes pour la libération sexuelle ont revendiqué la libération du plaisir, pas l’emprisonnement du sexe et son instrumentalisation au profit d’autrui (où dispose-t-on moins de son corps que dans la prostitution ?) ; déplacer la question de la prostitution vers un débat sur la liberté sexuelle, c’est ne voir que le côté masculin de cette liberté.

Autre argument : les prostituées ont bien le droit de choisir leur vie. Mais est-ce vraiment un choix de vie, ou plutôt l’exploitation d’une vulnérabilité ? Kathleen Barry, sociologue, auteure de « L’esclavage sexuel des femmes » : Les femmes qui se prostituent ne sont pas toutes «techniquement en esclavage. À côté des femmes et des filles esclaves, il y a des femmes qui sont techniquement prostituées par libre choix. Mais il est certain que les conditions économiques et sociales qui entraînent la prostitution et font de la femme un produit de consommation remettent en cause la signification du libre choix. » Ce que nous savons sur la drogue, sur la pauvreté, sur les femmes qui sortent de prison, etc. remet en effet en cause cette notion de libre choix.

La notion de prostitution « libre » est donc fallacieuse. Or c’est ce que sous-entend la lutte contre la prostitution « forcée » : cette notion qui tente de s’imposer dans les textes des instances internationales est dangereuse car elle légitime la prostitution sur le principe.

Il est certain qu’il est souvent insupportable de se définir comme une victime, et certaines prostituées détestent les analyses sociologiques faisant apparaître de grandes tendances qui se répètent dans l’histoire de chacune d’elles (être réduit à un type sociologique est toujours désagréable, on préfère être un individu…), mais ces analyses n’en restent pas moins vraies. Il est difficile aussi pour elles de reconnaître n’avoir pas choisi, justifier son mode de vie permet de se protéger moralement.

C’est le syndrome de Stockholm : stratégie de survie en captivité (pour survivre, la personne prostituée doit nier l’ampleur de ses souffrances) avec une identification à son tortionnaire (proxénète et client). Certains esclaves étaient contre la disparition de l’esclavage.

En fait, le problème c’est : Peut-on protéger des gens au-delà de leur consentement ? C’est la même question qui se pose pour l’excision ou le trafic d’organes (voire pour le combat féministe)(voire même pour tout combat politique humaniste ou universaliste). La vente des organes a été interdite au nom de l’intégrité de l’être humain, pourquoi la vente du sexe serait-elle acceptable ? Comme le dit Marie-Victoire Louis, le consentement n’est pas la liberté, et d’autre part céder ne veut pas dire consentir.

Il faut dire aussi qu’il est très difficile de quitter la prostitution parce que l’appartenance au Milieu est paradoxalement sécurisante, en même temps qu’elle est constitutive d’une exclusion par rapport au monde extérieur (les anciennes prostituées sont stigmatisées, se sentent marquées à vie – pas les clients, toujours anonymes et innocents).

Respecter les personnes prostituées n’est pas respecter la prostitution.

Mouvement du Nid : « La prostitution bafoue les rapports hommes-femmes, en entérinant des idées dépassées :

  • celle d’un soi-disant besoin sexuel irrépressible de l’homme, alors que la sexualité humaine n’est pas un simple instinct mais qu’elle s’éduque, se construit dans la rencontre avec l’autre ;
  • celle d’un accès au corps féminin (et maintenant masculin et enfantin) qui serait conféré par l’argent, un « service » normalement dû ;
  • celle d’un homme enfermé dans son rôle traditionnel, qui se défend d’une rencontre réelle avec la femme, fait la démonstration de son pouvoir et maintient le contrôle de ses sentiments en n’engageant rien de lui-même, en évitant le risque de la rencontre et de la réciprocité.

La sexualité humaine a besoin d’être influencée par le pouvoir humanisant de la culture et de la civilisation. La prostitution fait tout le contraire : elle déshumanise la sexualité et entretient l’incompréhension et le mépris entre les hommes et les femmes. »

L’argent donné à la prostituée est la négation de la relation interpersonnelle exigée par une sexualité équilibrée, basée sur l’échange et la gratuité. Ces rapports sexuels sont fondés sur une absence totale de réciprocité, ils sont l’incarnation même de l’inégalité et de la violence sexistes que Mix-Cité désire combattre. Le recours à la prostitution correspond aussi dans le désir masculin à un désir de possession, de domination, de consommation de l’autre, comme pour le viol.

Je pense que le recours à la prostitution, loin d’endiguer les viols, les favorise, car il entretient l’idée d’un corps féminin en libre disposition pour les désirs masculins, et d’une domination « normale » dans les rapports sexuels.

La totale asymétrie de cette pratique (les femmes n’ont recours à des prostitués que de façon extrêmement marginale) montre à quel point elle est l’apogée du rapport de domination entre les sexes.

« La prostitution nie la personne humaine, elle est atteinte à sa dignité et réduction à l’état d’objet. En ce sens, la prostitution, l’existence même de la prostitution, est violence faite à tout être humain et elle agresse de façon égale les hommes et les femmes que nous sommes, qu’ils soient ou non dans la prostitution. »

Pour le Nid : « Accepter un statut de la prostitution, donc en faire un métier comme un autre, reviendrait à reconnaître un rôle social – de service public – à un système d’exploitation des personnes profondément inégalitaire (inégalités hommes/femmes, Nord/Sud, riches/pauvres) et à une atteinte aux droits humains élémentaires (droit à la dignité, au respect de l’intégrité physique, de l’intimité). Ce serait se résigner de fait à l’exploitation commerciale de la détresse. »

Si on le reconnaissait comme un métier, ne faudrait-il pas le mentionner dans les brochures de l’Onisep ? Organiser des formations à l’A.N.P.E. ? Une prostituée : « c’est un métier parce que ça s’apprend, mais ce n’est pas un métier parce qu’on n’aimerait pas que sa fille le fasse ». La prostitution n’est pas un service comme un autre, car on n’utilise pas la force de travail de l’autre mais son corps et donc son être, on en fait commerce. Comme le dit Comte-Sponville, « La prostituée n’est pas l’équivalente de la boulangère, elle est l’équivalente de la baguette, et c’est ça qui est profondément sacrilège. »

Quelles mesures ?

L’État doit s’engager d’une manière claire dans le refus de la prostitution, notamment en reconnaissant expressément dans le Code civil que le corps est hors commerce et que la prostitution est un des commerces du corps. Il pourrait créer un Haut Comité contre la prostitution qui mettrait en oeuvre une politique cohérente face à la prostitution et coordonnerait les actions des différents ministères sur la question. Une volonté politique affirmée s’accompagnerait évidemment de moyens financiers suffisants, notamment pour la prévention et la réinsertion. Même mobilisation que pour la drogue.

Ne plus reconnaître la prostitution comme une activité « normale », et surtout ne pas en faire un « métier », ce qui supposerait d’en accepter le principe et de renoncer complètement à sa disparition.

Par conséquent, supprimer tout impôt sur les revenus liés à la prostitution. Par ailleurs, supprimer le délit de racolage, toutes les poursuites et amendes infligées aux prostituées pour cause d’« incitation à la débauche ».

Surveiller les petites annonces (fausses offres de travail, fausses annonces matrimoniales pour faire venir des jeunes femmes des pays pauvres, tourisme sexuel…). Accentuer la lutte contre le proxénétisme, au niveau national et international.

Faire pression sur les instances européennes pour aller dans ce sens (contre les pays qui prônent la professionnalisation). Par ailleurs, l’ONU doit davantage prendre en compte la prostitution masculine, la mentionner dans ses résolutions, conventions…

Pour celles et ceux qui actuellement se prostituent : la couverture médicale universelle. Pour la retraite : d’après la convention de 1960, toute discrimination à l’égard des prostituées est interdite, donc elles peuvent prendre un régime de retraite. De manière générale, droits universels plutôt que droits spécifiques qui seraient liés à une « profession ».

Développer les centres d’accueil (si possible pas destinés spécifiquement aux prostitué-es) offrant une aide sociale et médicale, et des informations sur les possiblités d’accès à la justice, dans des conditions de sécurité et d’anonymat garantis.

Ne pas leur retirer leurs enfants. Les prostituées n’essaient presque jamais d’obtenir les allocations auxquelles elles ont droit, notamment car elles ont peur de ça.

Selon une enquête américaine faite auprès de prostitué-es, 92 % des personnes interrogées disaient vouloir quitter la prostitution ; pour cela, elles auraient eu besoin d’un logement (73 %), d’une formation (70 %), de soins médicaux (59 %), d’une aide pour leurs enfants (49 %), d’une cure de désintoxication (40 %).

Les mesures pour la réinsertion des personnes prostituées prévues par les ordonnances du 25 novembre 1960 sont restées un voeu pieux : inexistence ou insuffisance des services de réinsertion tels que les S.P.R.S. (Service de Prévention et de Réadaptation Sociale) qui devaient être créés dans chaque département. En 1993, il n’en restait que trois (Lyon, Marseille, Montpellier), en sursis (il semble qu’ils aient totalement disparu aujourd’hui ?). L’État devrait aider les associations de terrain, tout en s’engageant lui-même.

Il faut des centres d’accueil pour la réinsertion avec d’importants moyens financiers, qui fournissent une assistance sociale (pour trouver un logement par exemple) et médicale (y compris pour les problèmes de drogue), et un véritable reclassement professionnel (avec une vraie formation professionnelle, parfois une alphabétisation si nécessaire).

Notamment former des anciennes prostituées au métier de travailleur-euse social-e, car elles sont souvent les plus efficaces pour l’accompagnement de la réintégration professionnelle des prostitué-es.

Mais attention, pas de moralisme, ce qui serait apparemment la tentation de certains militants du Nid, et ce qui donne des arguments à leurs détracteurs : il semble qu’ils auraient tendance à valoriser le mariage pour les prostituées qui veulent se réinsérer, à les encourager à retourner à une « vie normale », c’est-à-dire en couple, avec des enfants, avec une bonne gestion du ménage… Il faut réinsérer sans culpabiliser (il ne s’agit pas de racheter une faute).

Les ordonnances de 1960 prévoient aussi des mesures de prévention, en particulier pour « les personnes en danger de prostitution ». Ces ordonnances n’ont eu pratiquement aucun effet.

Hamou Hasnoui, psychosociologue, réclame une politique d’information et de prévention en direction des jeunes, en particulier des jeunes en difficulté, pour leur éviter de tomber dans la prostitution : il faut « développer l’écoute psychologique préventive […], développer et adapter les outils d’information. D’autre part, il faudrait développer une aide matérielle pour les jeunes en situation d’urgence. […] Et il serait de la responsabilité de l’État de mener des actions globales de prévention, par exemple dans les collèges et les lycées. […] On est préoccupé par la prévention de la délinquance mais pas celle de la prostitution qui est invisible et impossible à localiser. »

Par ailleurs, rien n’est prévu à l’égard des clients potentiels en matière de prévention.

Même si elle a ses limites, il me semble que la politique de rééducation du client adoptée à San Francisco et dans une certaine mesure en Suède est assez efficace et a l’avantage de responsabiliser le client, de déstigmatiser la personne prostituée et de valoriser sa parole.

Il faut aussi et surtout réduire la prostitution par une éducation anti-sexiste. D’autre part, il faut une campagne d’information et de responsabilisation de l’opinion publique. Il faut ouvrir le débat en le plaçant sur un plan politique et non moral.

Depuis la loi de 2016, les visages de la prostitution ont-ils évolué ?

La mise en oeuvre de la loi prostitution, votée en 2016, est-elle efficace ? A-t-elle permis d’enrayer la prostitution ? A-t-elle fait évoluer les profils et les modes de prostitution ? Décryptage.

Femmes en situation de précarité, victimes d’exploitation et de réseaux, étudiantes, jeunes filles, hommes… Les visages de la prostitution sont divers. Les lieux de prostitution sont aussi variés : dans la rue, sur le bord des routes, dans des bars, dans des salons de massage, dans des appartements ou chambre d’hôtel ou encore sur Internet. Tout cela illustre la complexité de ce phénomène, qui existe depuis des millénaires.

La loi prostitution adoptée en 2016 a-t-elle modifiée ces modes de prostitution ? Les lieux de prostitution ont-ils changé ? Un rapport d’évaluation locale (1) menée par les sociologues Jean-Philippe Guillemet et Hélène Pohu dans quatre villes-test – Paris, Bordeaux, Narbonne, Strasbourg – de la loi prostitution de 2016 publié ce mercredi, dévoile que cette « loi est diversement appliquée selon les villes étudiées ».

Sur le terrain, « on ne constate pas encore de diminution de la prostitution dans la rue », reconnaît Grégoire Théry, administrateur de la Fondation Scelles, organisation abolitionniste favorable à la loi, qui a cofinancé les travaux avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS).

Par ailleurs, les auteurs du rapport « s’interrogent sur l’efficacité de la loi » pour enrayer l’essor de la prostitution sur Internet.

La loi prostitution de 2016

Dans son volet pénal, la loi du 13 avril 2016 a abrogé le délit de racolage, remplacé par la verbalisation des clients – avec une amende de 1 500 euros pouvant aller jusqu’à 3 750 euros en cas de récidive -, parfois complétée par un stage de sensibilisation.

Dans son volet social, un nouveau dispositif – le « parcours de sortie » de la prostitution – offre à ses bénéficiaires un logement locatif social ou une place en foyer, un accompagnement médical sur le plan physique ou psychologique ainsi que des actions d’insertion sociale et professionnelle.

Déclin de la prostitution au bord des routes ?

Dans l’une des villes tests, à Narbonne, 88 clients ont été verbalisés depuis l’entrée en vigueur de la loi. Dans cette région, la prostitution n’est pas présente sur la voie publique dans le centre-ville, mais au bord de trois axes routiers principaux. Et aujourd’hui le schéma est le même, « les modalités de l’activité prostitutionnelle n’ont pas changé », note le rapport.

Les acteurs interrogés dans le cadre du rapport rapportent que le nombre de clients et de prostituées a diminué. Selon le procureur de la République et la Compagnie de gendarmes de Narbonne, « il y aurait à la fois moins de clients, moins de personnes prostituées et moins de « revenus » tirés de la prostitution ». Même constat du côté du Mouvement français pour le planning familial : entre fin 2015 et fin 2017, « le nombre de personnes prostituées aurait baissé d’environ 35 à environ 20. »

Quelques chiffres issus du rapport

– A Paris, 2 263 clients verbalisés, 3 à Strasbourg, 300 à Bordeaux et 88 à Narbonne.

– Au total, 183 personnes – 172 femmes, 11 hommes – étaient engagées dans un « parcours de sortie de la prostitution », selon les données de la DGCS arrêtées au 15 mars. Un chiffre réévalué aujourd’hui à environ 250.

– 32 stages de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels organisés à Paris.

Une majorité de prostituées étrangères

Dans les quatre villes étudiées, le rapport pointe le nombre important d’étrangères dans les réseaux de prostitution. Par exemple, entre 73% et 90% des personnes prostituées sont étrangères sur Bordeaux et Bègles.

D’après la police, en 2015, Bordeaux aurait accueilli 230 personnes prostituées dont 185 étrangères (80%), 104 originaires des pays de l’Est (45%), essentiellement de la Bulgarie et 46 originaires d’Afrique anglophone (20%) issues pour la plupart du Nigeria. « Le poids des personnes prostituées étrangères s’avère très important à Bordeaux depuis des années et la plupart des acteurs sont persuadés que la ville est devenue un lieu de commerce sexuel et de traite des êtres humains », met en exergue le rapport.

Pour le parquet de Strasbourg, la prostitution est « quasi exclusivement étrangère aujourd’hui ». A Paris, on retrouve également beaucoup de prostituées étrangères, avec des femmes originaires des pays d’Europe de l’Est, des Balkans, d’Afrique subsaharienne, souvent du Nigeria, et des pays asiatiques, notamment la Chine.

Par ailleurs, plusieurs acteurs (police, justice, associations) relèvent qu’elles sont de plus en plus jeunes, et « marquées par la violence des routes migratoires par la Libye et l’Italie ».

Le parcours de sortie en-deçà des objectifs

La nationalité étrangère peut être un frein pour l’accès au parcours de sortie. Selon la Fondation Scelles, « plus de 300 parcours de sortie » ont été validés. Cela reste loin des premières ambitions – 1 000 parcours budgétés en 2017 puis 600 en 2018 -, freinées notamment par la réticence de certains préfets de délivrer des autorisations provisoires de séjour aux prostituées étrangères pour leur permettre de trouver un travail.

« La problématique et la politique migratoires impactent directement l’application de la loi et les décisions préfectorales sont parfois longues à venir pour statuer sur les parcours de sortie », peut-on lire dans le rapport.

Essor du proxénétisme de « cité »

Cette nouvelle forme de prostitution gagne du terrain en France. En 2018, plus de 120 affaires de prostitution de cité ont été traitées, presque trois fois plus qu’en 2016, selon les chiffres publiés cette année par l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains.

Selon les recherches menées dans le rapport, « le proxénétisme de cité développé dès 2018 par les acteurs parisiens est désormais une problématique commune de trois des quatre villes étudiées. »

Cependant, à Narbonne, le planning familial note que « l’orientation à la baisse de la prostitution visible ne se traduirait pas par une hausse de la prostitution numérique, qui requiert des compétences que n’ont pas forcément les personnes prostituées étrangères du bord de la route ».

Les rendez-vous sont pris via Internet, à travers diverses applications de communication. Les « passes » se déroulent ensuite dans des chambres d’hôtel ou des appartements loués pour une journée, ce qui permet davantage de discrétion.

Qu’est-ce que le proxénétisme de « cité »

Cette forme de proxénétisme est qualifiée « de cité » car les réseaux fonctionnent de manière similaire au trafic de stupéfiants. Le responsable de la Brigade de répression du proxénétisme de Paris explique que les mêmes codes sont utilisés, les personnes ont une culture du banditisme semblable, ce sont les mêmes profils de personnes qui ont investi cette criminalité organisée.

Si les modes de prostitution changent, de nouveaux profils de prostituées émergent. Il s’agit notamment de jeunes femmes « en grande précarité économique, sociale, éducative, en rupture familiale », avait détaillé le commissaire Jean-Marc Droguet à l’occasion de la présentation du rapport annuel du Sirasco (Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée), en juillet dernier. A noter également, que de plus en plus de jeunes filles sont issues de classe moyenne.

Autre nouveauté inquiétante : les prostituées sont très souvent mineures. En 2018, 47 % des victimes identifiées avaient moins de 18 ans.

Il s’agit notamment de Françaises, contrairement à la prostitution de rue où beaucoup font partie de réseaux étrangers. En effet, pour Jean-Marc Droguet, il s’agit bien d’un « phénomène de proxénétisme franco-français, qui dépasse largement les filières étrangères d’exploitation sexuelle ».

La loi est-elle efficace avec le proxénétisme de « cité » ?

La loi de 2016 semble montrer des lacunes face à ce nouveau mode de prostitution. Les acteurs du rapport « s’interrogent sur les réalités de la mise en œuvre de la loi lorsque la prostitution n’est pas sur la voie publique ». En effet, beaucoup d’entre eux « n’ont pas encore les moyens de travailler sur le proxénétisme et la prostitution par l’outil Internet ». Selon Hélène Pohu, la lutte contre le proxénétisme sur internet « a du mal à trouver son application dans la loi », qui prévoit pourtant la responsabilité pénale des hébergeurs de sites.

La Fondation Scelles « demande l’application de la loi en matière de lutte contre le proxénétisme qui permet de fermer les sites proxénètes en ligne. Si le droit existant ne suffit pas, la Fondation Scelles recommande l’adoption de nouvelles dispositions législatives ».

(1) L’évaluation locale a été réalisée en deux temps. Une première étude, menée de janvier à avril 2018, a été remise à la DGCS en mai 2018. Puis, en juin et juillet 2019, les données recueillies en 2018 ont été reprises et actualisées pour donner à voir l’expérience la plus récente des acteurs institutionnels et associatifs locaux.

BIBLIOGRAPHIE

  • CORBIN Alain, « Les Filles de noce, Misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle », Champs Flammarion, 1989.
  • COQUART Élizabeth, HUET Philippe, « Le Livre noir de la prostitution », Albin Michel, 2000.
  • POUILLON-FALCO Denise, « Systèmes réglementaristes ou systèmes abolitionnistes », ONU, 1986.
  • WELZER-LANG Daniel, BARBOSA O., MATHIEU L., « Prostitution : les uns, les unes et les autres », Métailié, 1994.
  • LEGARDINIER Claudine, « La prostitution », Milan, coll. Les Essentiels, 1996.« Prostitution et Société », magazine trimestriel. Notamment le hors-série 1998 « Prostitution : 100 questions pour comprendre », le n° 129, avril-mai-juin 2000 et n° 130, juillet-août-septembre 2000.

Et aussi:

  • BARRY Kathleen, « L’esclavage sexuel des femmes », Stock, 1979.
  • FESCHET Jean, « Garçons pour trottoir »,
  • La Découverte, 1986. « Les comportements sexuels en France », groupe ACSF, rapport au ministre de la Recherche, 1993.

Témoignages:

  • MARIN Maud, « Tristes plaisirs », Fixot, 1987.
  • CASTIONI Nicole, « Le Soleil au bout de la nuit », Albin Michel, 1998.

Mise a jour octobre 2019

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