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Condition Féminine

Harcèlement moral dans le monde du travail

Ignoré en France jusqu’à la parution du livre de Marie-France Hirigoyen, le harcèlement moral au travail est devenu depuis quelques années une forte préoccupation sociale. Il a toujours existé en milieu du travail, mais sa dénomination est toute récente.

Le harcèlement moral au travail constitue un délit en France depuis l’adoption de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. Il est désormais introduit dans le code du travail, dans le code pénal et au sein du statut de la fonction publique. A cet égard, les objectifs de la loi visent à circonscrire les agissements de harcèlement moral, à protéger la victime ou le témoin et à prévenir ces agissements.
Plusieurs définitions du harcèlement moral ont vu le jour sous différents auteurs mais la définition consensuelle de ce phénomène n’existe pas à ce jour. Elle va en effet varier selon que l’on se place d’un point de vue psychologique, sociologique lié aux réalités du travail et à ses enjeux, juridique ou qu’on l’aborde en terme de psychodynamique du travail c’est-à-dire l’analyse dynamique des processus psychiques mobilisés par la confrontation du sujet à la réalité.

Cette violence trouve en grande partie son origine dans les nouvelles formes d’organisation du travail et de management apparues avec le compromis post-fordien, qui ont conduit à une dégradation des relations sociales, à la précarisation du travail et au chômage.

Voici notre définition qui repose sur plusieurs approches dont la principale est l’approche psychodynamique du travail de Christophe Dejours : « Le Harcèlement moral au travail est une forme de violence et de maltraitance dans l’entreprise. C’est l’ensemble des conduites et des pratiques qui se caractérisent par la durée et la répétition des atteintes à la personnalité ou à la dignité ou à l’intégralité physique ou psychique, du fait de nouvelles formes d’organisations du travail. Cette aliénation par les modes de gestion et d’évaluation ou de direction de l’entreprise, inflige ainsi, de façon intentionnelle ou non, une souffrance intense afin de nuire, voire de détruire ». Par définition, il est utile de préciser que le harcèlement moral doit se différencier des autres formes de souffrance au travail telles que le stress, le conflit, la surcharge de travail ou même le burn out (épuisement professionnel).

LES DIFFERENTS TYPES DE HARCELEMENT MORAL AU TRAVAIL

Le Harcèlement individuel : pratiqué par une personnalité obsessionnelle, perverse, ou pathologique. Il est intentionnel, vise à humilier, détruire l’autre et à valoriser son pouvoir social ou personnel.

Le Harcèlement institutionnel :

apparaît comme lié à des formes d’organisation du travail qui fixent des objectifs inatteignables, d’où surcharge de travail, augmentation du stress, culpabilisation permanente. Il peut prendre 2 formes ; l’une relevant de pratiques managériales délibérées impliquant la désorganisation du lien social touchant l’ensemble du personnel, portant atteinte à la dignité des personnes et qui ont pour effet de dégrader les conditions de travail. L’autre visant à exclure les personnels dont l’âge, l’état de santé, le niveau de formation ne correspondent plus aux nécessités de service et à leurs missions d’intérêt général.

Le Harcèlement transversal ou horizontal : s’exerce entre personnels, sans rapport hiérarchique. Il relève d’une dynamique collective où se déploient des comportements contraires aux droits fondamentaux de la personne humaine dans une relation de travail.

Heinz Leymann et Marie France Hirigoyen ont identifié différentes techniques de harcèlement moral utilisées tels que ; l’isolation du salarié, la mise sous surveillance permanente. Les injonctions paradoxales qui visent à plonger le harcelé dans la confusion et les techniques punitives qui mettent le salarié en situation de justification constante. Par ces différentes techniques de harcèlement, le travailleur se sent culpabilisé par le regard apathique des autres travailleurs. Il est saisi par le doute sur ses propres compétences, il s’entête dans ses projets pour obtenir la reconnaissance sociale de ses chefs à laquelle il pense avoir droit, et perd l’estime de lui-même. Le silence des camarades de travail face au harcèlement d’un collègue par un petit chef précipite la désagrégation du sens commun de la justice, de la dignité humaine, de la solidarité. La victime ne sait à qui s’adresser pour faire reconnaître ses droits et la valeur de ses choix, tant l’éloignement et la diffusion du pouvoir le rend insaisissable, et se trouve dans la situation sans espoir.

LES CONSEQUENCES DU HARCELEMENT

Le harcèlement moral au travail a des répercussions importantes sur la santé physique et psychologique des victimes.

Dans les premiers temps : la victime développe un stress et une anxiété, les troubles du sommeil, le désengagement social, l’ennui, la fatigue, l’augmentation de prise de médicaments ou de différents toxiques (addictions), en sont les signes précurseurs. C’est une phase d’alerte que l’on peut considérer comme le premier niveau d’usure du geste de travail, vidé de son pouvoir de construction identitaire. Le harcelé dans cette phase ne s’exprime pas, ne pleure pas, ne parle plus à ses collègues ou à son entourage. Il se contente de « tenir », pris dans une hypervigilance au travail, une hyperactivité réactionnelle, supposées permettre l’évitement des critiques et des brimades. Cette phase n’est pas forcément dangereuse puisque le harcèlement est récent et qu’il existe encore une possibilité de s’en sortir, de trouver une solution si la victime se sépare du harceleur.

Dans un deuxième temps :

la victime présente des troubles psychosomatiques tels que des maux de tête, de ventre, vomissements, troubles endocriniens, troubles gastriques etc. Le corps enregistre l’agression avant même le cerveau, qui refuse de voir ce qu’il n’a pas compris.

A long terme :

la victime devient triste, envahie par un sentiment d’épuisement et de fatigue chronique, une baisse de l’estime de soi, pouvant évoluer vers une dépression.

Si le procédé du harcèlement moral perdure et si un réseau de soutien ne se crée pas autour de la victime, les ressources psychiques de résistance de la victime finissent par être débordées, elle rentre dans une phase de décompensation, on parle alors de tableau de névrose traumatique qui s’apparente au syndrome de stress post-traumatique (DSM IV). Cela survient dans des situations où le sujet vit une menace, réelle ou ressentie, contre son intégrité physique ou psychique. Elle correspond à un débordement de l’appareil psychique qui pris par surprise, ne peut solliciter des mécanismes de défense adéquats (LHT ESPT).

Dans cette même phase, cet Etat de Stress Post-Traumatique (ESPT) peut s’installer chez la victime et certaines manifestations apparaissent tels que ; le retour en boucle de scènes traumatisantes s’imposant à la personne et les lui fait revivre, les angoisses avec manifestations physiques surgissant spontanément, déclenchées par une perception analogique avec un détail de la scène traumatique (bruit, expression d’une personne présente, odeur particulière…), terreur à l’idée d’aller au travail, cauchemars intrusifs entraînant le réveil immédiat en sueurs (en criant), insomnie, sentiment de culpabilité, position défensive de justification, troubles de la mémoire, de l’attention et des atteintes somatiques.

A plus long terme : des atteintes profondes de la personnalité peuvent être observées : bouffée délirante, dépression grave, paranoïa, désorganisation psychosomatique, conduites addictives, tendances suicidaires pouvant aller jusqu’au suicide.

Conclure cette partie sur les conséquences du harcèlement moral au travail sur la santé mentale des victimes serait impossible sans signaler l’importance considérable que revêt de plus en plus la multiplication spectaculaire des suicides dans de grandes entreprises comme France Télécom, témoignant d’une « crise dans l’entreprise », d’une « crise de la notion de travail ». On ne peut pas chiffrer les suicides et les tentatives car il n’a y a pas eu d’enquête épidémiologique. D’après une étude réalisée en 2005 en Basse-Normandie, nous arrivons à un taux de suicide en France de 300-400 suicides par an. Mais le chiffre ne change rien.

Cette contagion suicidaire ne résulte pas seulement des injustices, de la disgrâce ou du harcèlement. Elle provient surtout de l’expérience vécue dans l’horreur et l’abjection du silence atroce des camarades de travail, de l’abandon par les autres, du refus de témoigner des autres en cas de litige avec la direction, et d’une certaine « lâcheté des autres ». Une puissance inhumaine règne sur le tout; c’est le règne de l’Autre, donc l’aliénation au sens étymologique : devenir étranger à soi même, autre que soi.

Les conséquences des violences internes ne pèsent pas seulement sur l’individu en termes de souffrance et de préjudice pour sa santé. Elles ont également des répercussions sur le fonctionnement organisationnel et économique des entreprises : absentéisme, turnover, démotivation, baisse de créativité, perte de productivité, mauvaise ambiance de travail, détérioration du climat social, difficultés pour remplacer le personnel ou recruter de nouveaux employés, accidents du travail, atteintes à l’image de l’entreprise, litiges et procédures judiciaire etc. Cela représente un coût financier pour l’entreprise et un coût indirect pour la société lié aux dépenses de santé.

ORIENTATION ET TRAITEMENT

Le traitement du harcèlement moral s’organise autour d’une équipe pluridisciplinaire capable d’analyser la situation de travail, l’état de santé et la situation sociale du harcelé. Cette équipe est compétente pour accompagner la personne harcelée ainsi que la communauté de travail qui a laissé se développer des comportements de harcèlement moral.

Le soutien psychologique d’un thérapeute est nécessaire, la qualité de l’écoute du thérapeute permet à la personne de verbaliser et d’expliciter les rouages du phénomène dont elle est victime. Répéter et exprimer sa souffrance avec les détails, peut-être douloureux et se traduit par des manifestions somatiques (pleurs, difficultés respiratoires, tremblements, troubles du sommeil, dérèglements alimentaires), la personne va peu à peu se restaurer identitairement, retrouver l’estime de soi, donc la confiance, ne plus se sentir coupable. Les groupes de parole peuvent aider les victimes à se reconstruire (LHT)

Le constat du harcèlement moral nécessite souvent un accompagnement juridique et le recours à un avocat. La reconnaissance du préjudice et l’indemnisation jouent un rôle primordial. Même s’il ne s’agit pas d’un règlement satisfaisant du conflit, le fait que le harcelé soit reconnu comme victime d’un préjudice contribue à sa restauration identitaire.

Le harcèlement moral engendre souvent un traumatisme. La verbalisation avec un thérapeute permet à la victime de reprendre le cours de son histoire sans rester collé dans une dimension purement imaginaire, c’est à dire personnelle, et d’accéder ainsi à la dimension symbolique (collective). Il est possible et souhaitable que la victime parvienne à faire le deuil de l’état antérieur, avant l’événement traumatique, en l’aidant à trouver un moyen de quitter l’entreprise où elle travaille.

REFERENCES

  • Dejours, C. (2000), Travail, usure mentale : Essai de psychopathologie du travail, Paris, Bayard Centurion.
  • Dejours, C., Bègue, F. (2009), Suicide et travail : que faire ? Briser la loi du silence, souffrance et théorie, Paris, PUF.
  • Leymann, H. (1996), Mobbing : La persécution au travail, Paris, Seuil.
  • Lopez G, Portelli S., Clément S. (2° éd., 2007), Les doits des victimes : droit, auditions, expertise, clinique, Paris, Dalloz.
  • Hirigoyen, M.F. (1998), Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien. Paris, Syros.

 

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